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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

ce martyr de la patrie, adopté par son oncle, Jacob Nenadovitj, successeur d’Alexa à Valiévo, et le plus influent de tous les hospodars, partit donc pour Pétersbourg. Mathieu Nenadovitj se mit seul en route, ne sachant aucune langue étrangère, mais guidé par son bon sens à travers les nations. Arrivé devant l’autocrate, il lui remit ses lettres ; on lui répondit de faire établir par les hospodars un sénat, et qu’à cette condition la Russie soutiendrait les Serbes. Le jeune prota, passant par Charkov pour regagner la Serbie, y rencontra un compatriote nommé Philippovitj, homme instruit, qui occupait la chaire de droit à l’université de cette ville. Il réussit à enflammer le patriotisme de Philippovitj, qu’il décida à le suivre en Serbie. Revenus dans leur pays, les deux Serbes obtinrent facilement de George l’institution d’un soviet (sénat) de douze membres, représentant les douze nahias ou départemens de la nouvelle république. Telle fut l’origine de l’assemblée qui était appelée à doter la Serbie d’une organisation politique. Chargés de défendre les droits de tous et de chacun contre la violence des chefs militaires, les sovietniks (sénateurs) avaient bien été élus par le peuple, mais sous l’influence des hospodars, dont ils étaient plus ou moins les créatures. Le peuple n’eut donc, comme par le passé, qu’un seul représentant, le dictateur qu’il avait intronisé de force, et contre qui les hospodars se tenaient ligués au nom de l’ordre civil. Ainsi, par une déplorable fiction, ce sénat, institué pour défendre les libertés du peuple, était sans cesse poussé à agir contre le plus sincère défenseur du peuple, George-le-Noir.

Cependant il faut rendre justice aux louables intentions des premiers sovietniks. Ils firent cesser le règne du glaive ; ils établirent dans chacune des douze nahias un tribunal de première instance qu’ils surveillaient, et auquel on pouvait appeler du jugement des kmètes (juges de village) ; ils réglèrent l’impôt, les taxes pour les églises, et décrétèrent la vente des biens turcs des villes. Aucun d’eux ne savait écrire, si ce n’est leur président, le prota Nenadovitj ; ces dépositaires du pouvoir suprême tenaient leurs séances au milieu des ruines du vieux monastère de Blagoviechtenié, dans la Choumadia. Assis en cercle et les jambes croisées sur des nattes, ces vieillards n’avaient ni gardes ni domestiques ; on leur envoyait leur nourriture des villages voisins, et parfois, quand la guerre contre les Turcs absorbait toute l’activité du peuple, on laissait ces législateurs des semaines entières sans autre aliment que les fèves cuites et la slivovitsa. Chassé de ses ruines par des contremarches de troupes,