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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

mille dont on est membre. L’égalité dont les Serbes sont avides ne consiste point à se ravaler tous au rang de vilains, mais à se croire tous gentilshommes. Je demandais à ces paysans s’il y a des nobles parmi eux : « Oui, me répondaient-ils, nous le sommes tous (mi smo svi blagorodni). » L’hospodar n’est pas plus illustre que ceux dont il gère les intérêts, et qui, s’il administre mal, élisent à sa place ou son fils ou un autre de ses parens. Le même droit qu’il exerce sur ses hospodars particuliers, ce peuple l’a toujours exercé à l’égard de l’hospodar suprême, tout en reconnaissant l’hérédité dynastique. Rebelle à tout joug, sans journaux, sans capitale qui lui serve de forum, il dicte la loi à ses maîtres. L’énergie du Serbe, comme celle du lion, ne se révèle pas au premier abord ; c’est sans émotion et sans bruit qu’il accomplit les choses les plus difficiles. Une pensée nouvelle, un vœu populaire, volent, comme par des télégraphes invisibles, d’un village à l’autre. Alors commencent ces sourdes rumeurs si connues de ceux qui ont habité l’Orient, et si lentes à grandir avant d’éclater un jour comme la foudre. Une indomptable fierté, un grand amour de la patrie et de la gloire, une fougue qui n’exclut point la patience, telles sont en résumé les qualités du peuple serbe.

II.

L’histoire civile des contrées qui devinrent, en 1830, la principauté de Serbie, commence en 1804, immédiatement après la prise de Belgrad par Tserni-George et les haïdouks confédérés. La mission émancipatrice de ces généreux brigands venait de s’accomplir ; et les propriétaires, auparavant humbles flatteurs des Turcs, s’élancèrent pour recueillir le fruit du sang versé par les enfans nus (prolétaires de l’Orient). C’eût été aux chefs de famille d’achever l’œuvre commencée par les haïdouks, il eût fallu réorganiser les vieilles tribus dissoutes par les Osmanlis ; mais ces tribus étaient devenues des compagnies de soldats, obéissant chacune à son voïevode (chef de combat). Ce furent donc ces voïevodes qui, après la guerre, passèrent au rang de knèzes ou chefs civils. Ne reposant point sur le culte des aïeux, comme dans les tribus proprement dites, la puissance de ces knèzes improvisés n’avait d’autre base que la richesse, et, pour s’assurer ce moyen d’influence, la plupart d’entre eux commirent des atrocités dans leur patrie reconquise. Après avoir été emportée d’assaut, Belgrad resta plusieurs jours abandonnée au pillage ; pour pouvoir s’ap-