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où l’honneur des lettres se perdrait tout entier. Le socialisme est fini : il faut en effacer les derniers vestiges. Assez long-temps on a eu l’exagération et l’injure à la bouche en parlant de notre régime social : revenons à un ton plus décent et à une appréciation plus saine. À l’envisager de sang-froid, ce régime n’est pas ce qu’on s’obstine à le faire ; on le place trop bas ou l’on attend trop de lui, on méconnaît ce qu’il a de réel, on force ce qu’il renferme d’idéal. Ce monde, que le christianisme a bien jugé, sera éternellement le siége de la souffrance, et, quand on songe qu’aucune classe ne se dérobe à cette loi, que les plus puissans comme les plus humbles lui paient un égal tribut, on s’étonne de voir encore tant de cerveaux en quête de cette chimère que l’on nomme la perfection absolue. Sans doute, les sociétés se civilisent et les hommes s’améliorent, mais il n’en est pas moins évident qu’à côté d’une plaie qui se ferme, s’ouvre presque toujours une nouvelle blessure. La souffrance morale s’accroît partout où le mal physique diminue, et c’est ce phénomène seul qui rétablit une sorte d’équilibre artificiel dans la destinée humaine.

Par-dessus tout, il importe que l’homme ne s’habitue pas à l’attente d’un bonheur indépendant de ses efforts, et ne se berce pas de l’idée fausse, dangereuse, que la société lui doit tout, aisance, joie, sécurité, sans lui demander en retour la pratique de quelques vertus et le triomphe sur quelques passions. Ces sorties contre la civilisation et les misères qu’elle ne peut guérir sont autant d’excuses au relâchement, autant de prétextes dont les natures vicieuses s’emparent. On fait ainsi la partie belle aux penchans dépravés, on fournit des armes au désordre. C’est là l’intérêt le plus pressant, celui au secours duquel il faut se porter. Les sociétés ont sans doute encore du chemin à faire dans la voie des améliorations, mais ce qui a surtout besoin d’être fortifié de nos jours, c’est le sentiment du devoir et l’empire de la conscience.

Quand on réfléchit à la nature des publications qui se succcèdent depuis un certain nombre d’années, on s’étonne que la société n’en ait pas été plus profondément atteinte. Autrefois, l’autorité morale émanait des écrivains, et les siècles passés ont tous obéi à l’initiative de quelques grands esprits. Les consciences trouvaient ainsi une règle ; l’action s’exerçait de l’élite à la masse, du petit nombre à la multitude. De nos jours, au lieu de céder aux écrivains, la société leur résiste ; elle les accepte comme une distraction frivole, elle ne subit pas leur influence. Les célébrités du paradoxe et de la déclamation, romanciers ou philosophes, ont eu beau l’éprouver de mille