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LA SOCIÉTÉ ET LE SOCIALISME.

de la phalange pénitentiaire, il est désormais acquis à une conjuration éternelle contre l’ordre légal ; il rompt avec la société pour entrer dans un monde à part et s’y élever, d’échelon en échelon, jusqu’à l’échafaud. Ce malheureux, une fois entré dans un milieu corrompu, n’aura plus ni la vertu ni la force d’en conjurer les atteintes ; la contagion le gagnera, il s’initiera aux beautés de l’argot à l’usage des malfaiteurs ; il entendra chaque jour les récits édifians des héros du crime, saura comment ils conduisent leurs opérations, quelles ruses ils emploient pour déjouer la surveillance, quels complices ils rencontrent, quels lieux ils fréquentent. Triste, mais inévitable éducation contre laquelle peu de condamnés savent se défendre, et dont les résultats se manifestent clairement dans les tableaux des récidives !

À cette situation fâcheuse il n’est qu’un seul remède, c’est l’isolement. On a, dans ces derniers temps, compromis cette mesure par des applications politiques. C’est une faute ; il fallait conserver à l’emprisonnement solitaire le caractère qui lui appartient, et en faire exclusivement une arme contre les malfaiteurs. De l’avis des esprits les plus éclairés et des observateurs les plus réfléchis, nul moyen n’est plus efficace pour nettoyer les étables du crime. La détention, comme on l’entend, comme on la pratique aujourd’hui, est un complot incessant contre la société. Elle engendre plus d’attentats qu’elle n’en punit, et ressemble moins à une expiation qu’à une menace. Tant que les détenus auront entre eux des communications quotidiennes, il en sera ainsi. Se voir et se parler, pour des criminels, c’est conspirer, c’est s’affermir dans la dépravation. La prison renvoie toujours un homme plus vicieux qu’elle ne l’a reçu ; les plus mauvaises natures y donnent le ton et s’y exaltent par le frottement. Il faut donc séparer, isoler les détenus ; tout l’indique. C’est le seul moyen de dissoudre les associations souterraines, de faire tomber en désuétude la langue des bagnes et des maisons centrales. Entre des hommes qui ne se seront jamais aperçus, point de conjuration possible, point de pacte secret. Le libéré ne trouvera plus, en quittant la chiourme, des complices pour persévérer dans le mal, des railleurs pour le détourner du bien : il sera livré à ses instincts et à ses penchans. La réclusion cellulaire, la séparation rigoureuse des détenus, auront seules la vertu d’opérer cette dispersion de l’élément pénitentiaire que chaque jour la prison et le bagne versent dans la société. Vainement essaie-t-on d’y substituer des combinaisons ingénieuses qui laissent subsister pour les hôtes de la même maison de détention la complicité de la vue, du geste et de la parole. Pour