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LA SOCIÉTÉ ET LE SOCIALISME.

l’école de l’exagération et de s’étudier à en éviter les données et le langage. Quand on traite aujourd’hui de semblables matières, on ne saurait y apporter ni trop de sagesse ni trop de sang-froid. La défense des classes laborieuses ne peut pas, ne doit pas être délaissée, quoique des amis dangereux l’aient singulièrement compromise. Seulement il devient essentiel d’émettre des réserves très explicites et d’assigner à ces questions des limites précises et raisonnables. Les choses en sont là que, pour être écouté, la plus stricte modération est désormais nécessaire. Aussi ne sera-t-il fait ici aucune concession ni à l’utopie, ni au roman, ni même à la statistique : les améliorations lointaines font toujours du tort aux améliorations prochaines, et il y a du bénéfice à se tenir en garde contre des chimères. Cette réserve exprimée, on peut se demander où en est notre siècle pour ces trois plaies sociales, le vice, le crime et la misère, qui rongent surtout les couches inférieures de la société. Est-il quelques mesures immédiates à prendre, quelques topiques certains que l’on puisse appliquer à de tels maux ? Pour rappeler une expression devenue célèbre, y a-t-il à ce sujet quelque chose à faire ? Ce sont là des questions dignes de quelque intérêt.

Quand on parle du vice, la prostitution se présente en première ligne : c’est de toutes les plaies sociales celle qui affecte le plus douloureusement la pensée et qui porte aux mœurs l’atteinte la plus profonde. Un écrivain spécial[1] a rendu au public le triste service de l’initier aux mystères et aux souffrances de cette vie d’abjection. Les détails de cette déplorable statistique sont connus, trop connus peut-être. Une seule chose peut consoler d’un aussi affligeant tableau, c’est que la société ne pousse personne dans ce monde de la dépravation. Les chutes y sont, à peu d’exceptions près, volontaires ; elles ne doivent être imputées qu’aux mauvais penchans de la victime ou aux séductions de ces odieuses créatures qui spéculent sur le déshonneur. Peut-être cette question de la prostitution n’a-t-elle jamais été envisagée avec assez de rigueur. On admet trop facilement que c’est un fléau nécessaire, et que le seul devoir de l’autorité est d’en régler, pour ainsi dire, l’exercice. On la montre comme régnant sur toute la surface du globe, à l’ombre d’une tolérance universelle. Lutter contre elle semble une entreprise pleine de dangers ; on aime mieux lui donner une organisation savante, la cantonner, faire des sacrifices réguliers à ce minotaure. Ce système, que l’on croit inattaquable,

  1. De la Prostitution dans la ville de Paris, par M. Parent-Duchâtelet.