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les États-Unis y ont dépensé 20 millions de dollars, ou 606 millions de francs ; on estime qu’ils ont pris ou tué deux mille cinq cents sauvages. Ainsi chaque tête d’Indien leur revient à plus de 40,000 francs.

Si un jour, écrasés par le nombre et reconnaissant leur impuissance, les Séminoles demandent la paix, l’Union, nous n’en doutons pas, se hâtera généreusement de l’accorder, mais à la condition pour eux de s’expatrier, de rejoindre dans l’Arkansas les débris de leur ancienne confédération. Là ils retrouveront aussi les Chérokees, les Choctaws, toutes ces populations du sud, jadis nations puissantes, aujourd’hui faibles tribus, que le congrès entasse dans le territoire indien. L’Arkansas et l’Ouisconsins sont les deux colonies de déportation où l’Union dépose pour quelques années les Indiens qui l’embarrassent. Le Ouisconsins, destiné aux peuplades du nord, est une région de sept mille lieues carrées, reléguée derrière les rives glaciales du lac Michigan. L’Arkansas, situé au-delà du Mississipi, est borné au midi par le Texas, et son étendue est de treize mille lieues carrées environ. Voilà ce que les Indiens sont contraints d’accepter comme équivalent de plus de deux cent mille lieues carrées de terrain qui leur appartenaient. Il est vrai que plusieurs tribus ont reçu en outre des sommes d’argent ; mais, pour montrer tout ce qu’il y a d’illusoire dans ces prétendues indemnités, il nous suffira de dire que les terres cultivées des Chérokees leur ont été payées moins de moitié du prix minimum fixé par le congrès pour la vente des terres publiques, et de tous les hommes rouges, les Chérokees ont été les mieux traités. D’ailleurs, l’Union ne renonce nullement aux terres qu’elle a l’air de donner en échange ; les Indiens ne les reçoivent qu’à titre d’occupans et non de propriétaires. Quand ces malheureuses peuplades auront défriché l’Arkansas, quand la civilisation recommencera à s’introduire chez elles, le congrès réclamera le sol qu’il leur avait prêté, et leur proposera comme dédommagement de les transporter un peu plus loin, par exemple derrière les Montagnes Rocheuses.

Qu’on ne taxe pas d’exagération ces prédictions désolantes. Malheureusement le passé nous permet de prévoir l’avenir. Les Muscogis, les Chérokees, les Choctaws, avaient reconnu les avantages de la civilisation européenne bien long-temps avant de se trouver étreints par les établissemens. Ils avaient modifié leur gouvernement, adopté l’institution du jury, créé des écoles, fondé un journal qui s’imprimait à la fois en anglais et en indien. La bêche commençait à remplacer le tomahac dans la main des guerriers ; ils s’adonnaient à la culture, et en 1835 les Choctaws envoyèrent au marché cinq cents