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LA FLORIDE.

Cette manière de procéder réunirait évidemment de nombreux avantages ; elle ne coûterait rien à l’état, et pourtant les fortunes particulières n’auraient à faire aucun sacrifice. Elle accoutumerait peu à peu le maître à traiter avec celui qu’il regardait comme sa propriété, et l’esclave à user sagement de l’indépendance. Le besoin de travailleurs ne se faisant sentir que petit à petit, on éviterait à la culture une crise dangereuse, et dont il lui serait peut-être impossible de se relever. Enfin les rapports des deux races ne s’établissant sur le pied de l’égalité que d’une manière insensible, les préjugés seraient respectés et on leur donnerait le temps de s’affaiblir, au lieu de les révolter en les choquant de front. Malheureusement la paresse innée du nègre sera, nous le craignons bien, un obstacle insurmontable à l’application d’une mesure si séduisante. De plus il nous semble probable que les nègres à demi émancipés, et soustraits par cela même à l’influence morale que les blancs exercent sur eux, ne tarderaient pas à en appeler à la violence pour s’emparer de ce reste de liberté qu’ils auraient encore à gagner par le travail.

Nous sommes, au reste, bien convaincu que le gouvernement de l’Union ne songera jamais sérieusement à détruire l’esclavage. Plusieurs états du nord l’ont, il est vrai, prohibé dans l’étendue de leur juridiction ; mais ce n’a été qu’après s’être bien assurés que pour eux le travail des ouvriers libres était plus lucratif que celui des esclaves. Quant aux états du sud, ils s’opposeront toujours à toute mesure de ce genre. Leurs frères du nord et de l’ouest feront peut-être sonner bien haut les mots de religion et d’humanité ; mais nous doutons fort qu’ils veuillent jamais tenter une expérience dont le contre-coup funeste se ferait sentir jusque chez eux. Ils savent que les trois cent mille balles de coton qu’ils échangent annuellement contre leurs cuirs, leurs céréales et leurs produits manufacturiers, coûteraient bien autrement cher s’ils essayaient de les tirer d’ailleurs que de la Virginie ou de la Floride. Or, qu’il soit presbytérien ou épiscopal, le citoyen des États-Unis commence toujours par calculer, et, digne fils de l’Angleterre, il ne permit jamais à la religion du Christ ou de l’humanité de l’emporter sur la religion de l’utile. La question reste donc tout entière. Heureux les Américains si le temps n’amène pas une solution sanglante, et si leurs provinces du sud ne deviennent pas un second Saint-Domingue. Cette catastrophe est possible ; elle est cependant plus éloignée qu’on ne le pense généralement. Bien loin de gémir de leur esclavage, les nègres semblent en être fiers. Ce n’est qu’avec pitié qu’ils parlent d’un nègre libre. « Le malheu-