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traversés par de longues aiguilles ornées à leur extrémité de boules d’argent ou de verroteries. Autrefois les Valenciennes portaient un délicieux costume national qui rappelait celui des Albanaises ; malheureusement elles l’ont abandonné pour cet effroyable costume anglo-français, pour les robes à manches à gigot et autres abominations pareilles. Il est à remarquer que les femmes sont les premières à quitter les vêtemens nationaux ; il n’y a guère plus en Espagne que les hommes du peuple qui conservent les anciens costumes. Ce manque d’intelligence dans ce qui touche à la toilette surprend de la part d’un sexe essentiellement coquet ; mais l’étonnement cesse lorsque l’on songe que les femmes n’ont que le sentiment de la mode et non celui de la beauté. Une femme trouvera toujours charmant le plus misérable chiffon, si le genre suprême est de porter ce chiffon.

Nous étions depuis une dizaine de jours à Valence, attendant le passage d’un autre bateau à vapeur, car le temps avait dérangé les départs et brouillé toutes les correspondances. Notre curiosité était satisfaite, et nous n’aspirions plus qu’à retourner à Paris, à revoir nos parens, nos amis, les chers boulevarts, les chers ruisseaux ; je crois, Dieu me le pardonne, que je nourrissais le désir secret d’assister à un vaudeville ; bref, la vie civilisée, oubliée pendant six mois, nous réclamait impérieusement. Nous avions envie de lire le journal du jour, de dormir dans notre lit, et mille autres fantaisies béotiennes. Enfin, il passa un paquebot anglais, venant de Gibraltar, qui nous prit et nous conduisit à Port-Vendre, en passant par Barcelone, où nous ne restâmes que quelques heures. L’aspect de Barcelone ressemble à Marseille, et le type espagnol n’y est presque plus sensible : les édifices sont grands, réguliers, et, sans les immenses pantalons de velours bleu et les grands bonnets rouges des Catalans, l’on pourrait se croire dans une ville de France. Malgré sa Rambla plantée d’arbres, ses belles rues alignées, Barcelone a un air un peu guindé et un peu raide, comme toutes les villes lacées trop dru dans un justaucorps de fortifications.

La cathédrale est fort belle, surtout à l’intérieur, qui est sombre, mystérieux, presque effrayant. Les orgues sont de facture gothique et se ferment avec de grands panneaux couverts de peintures. Une tête de Sarrazin grimace affreusement sous le pendentif qui les supporte. De charmans lustres du XVe siècle, brodés à jour comme des reliquaires, tombent des nervures de la voûte. En sortant de l’église, on entre dans un beau cloître de la même époque, plein de