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LA FLORIDE.

lui, tantôt s’approchent de la surface, tantôt s’enfoncent et disparaissent sous la sombre voûte des cavernes latérales.

Quelquefois un éboulement subit vient tout à coup barrer le passage à ces fleuves souterrains. Alors les eaux accumulées cherchent à s’ouvrir un passage : un bruit pareil à celui d’un tonnerre lointain se fait entendre ; le sol est agité comme par un tremblement de terre ; il cède enfin, et avec un horrible fracas s’élance dans les airs une gerbe d’eau, de roches, de graviers, qui retombe et s’étend au loin dans les campagnes, entraînant tout sur son passage, creusant, dans l’espace de quelques heures, le lit d’une nouvelle rivière. Ces éruptions soudaines ne sont pas très rares en Floride, et quelques-uns des lacs les plus considérables de cette province n’ont pas d’autre origine. Le lac Jackson, entre autres, occupe aujourd’hui une plaine jadis cultivée et couverte de forêts. On y voit encore des arbres debout, et, pendant l’étiage, on distingue sur son fond les traits ou sentiers que les Indiens avaient autrefois pratiqués dans les bois. Souvent le conduit momentanément obstrué se dégage peu à peu ; le lac se dessèche, la source tarit, et l’on peut, comme Bartram l’a fait bien des fois, descendre dans ces espèces de cratères. On trouve alors la roche calcaire ouverte jusqu’à la couche d’argile par un large orifice où viennent aboutir en tout sens des canaux cylindriques aussi réguliers, aussi polis que si la sonde d’un ingénieur les eût forés dans le roc. À côté des phénomènes que nous venons de décrire, on aperçoit des ponts naturels, des rivières qui s’enfoncent sous terre tantôt pour se perdre à jamais, tantôt pour reparaître à des distances souvent considérables. On voit qu’il est peu de contrées où la nature ait semé avec plus de largesse ces spectacles que l’œil le plus indifférent ne peut contempler sans admiration.

Les hommes ont aussi laissé en Floride des traces curieuses de leur séjour. Sur plusieurs points, on rencontre de grandes chaussées en terre, des collines artificielles généralement de forme carrée, et qui ont jusqu’à sept cents pieds de long sur deux cents pieds de haut. Les unes servaient jadis d’emplacement pour la maison des chefs, de citadelle pour les villages des anciens Caraïbes ; c’étaient autant de petits Capitoles. D’autres remplaçaient chez ces nations les orgueilleuses pyramides des Pharaons, les sombres nécropoles de l’Égypte. Une épaisse végétation les recouvre, et des générations d’arbres séculaires se sont sans doute succédé sur ces monumens funèbres. Les peuples qui les élevèrent n’existent plus depuis long-temps. Les Indiens, dont on connaît le respect religieux pour les restes de leurs