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mens divers de la société se heurtent pêle-mêle comme cherchant à se coordonner, à préparer l’édifice futur. Les États-Unis subissent la loi commune. Enfantés pour ainsi dire de toutes pièces par les nations les plus civilisées, ils conservent encore, il est vrai, dans quelques villes du littoral, des traces de cette origine. En revanche, la barbarie règne seule aux frontières occidentales, parmi ces populations nomades qui marchent à l’avant-garde. En négligeant ces deux extrêmes, nous pourrons dire que l’Union tout entière est en plein moyen-âge. Ici sans doute cette phase de l’existence des peuples diffère, sous bien des rapports, de ce que nous voyons dans les siècles passés. L’humanité ne se répète jamais, et les circonstances exceptionnelles qui ont donné naissance aux États-Unis doivent imprimer à leur développement un caractère tout spécial. Au XIIe siècle, dans notre Europe déjà si peuplée, on se battait hommes contre hommes pour s’enlever quelques vassaux, quelques tours féodales. Jetés sur un sol qu’ils ne sauraient occuper en entier, les Américains de nos jours n’ont aucune raison pour guerroyer entre eux ; ils se liguent pour vaincre un ennemi commun, — la nature. Contre ce rude adversaire, ils emploient la surabondance de force physique que nos pères usaient à porter et à parer leurs grands coups de lance.

Là est le secret de cette activité fiévreuse qui semble dévorer l’Anglo-Américain, qui le pousse en enfant perdu dans les entreprises les plus insensées. Dans cette lutte, il n’a que faire de cottes de mailles de Milan, d’épées de Tolède, de béliers, de tours mobiles, de ces mille engins inventés par nos chevaliers pour attaquer et pour défendre leurs inaccessibles donjons. Le fer et le feu lui ouvrent les forêts et les prairies ; à ces armes de tous les temps il ajoute celles que lui fournit la science moderne, la carabine contre les sauvages et les bêtes féroces, la mécanique et la vapeur contre l’immensité des distances. Les moyens diffèrent comme l’ennemi qu’il faut combattre ; mais, en Amérique comme en Europe, au XIXe comme au XIIe siècle, même acharnement à la guerre, même mépris pour la vie des individus, même orgueil dans le triomphe, même dédain pour quiconque se tient en dehors de la lutte. Dans les deux époques, la force brutale est la plus nécessaire ; aussi elle domine et écrase l’intelligence. Si l’esprit des Américains travaille bien plus que celui de nos anciens preux, c’est uniquement pour concourir à l’accomplissement de l’œuvre actuelle. L’Yankee est industriel, parce que l’industrie seule peut terrasser l’ennemi qui