Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/744

Cette page a été validée par deux contributeurs.
738
REVUE DES DEUX MONDES.

d’autre point de contact que le souvenir de leur origine. Au nord habite le Yankee, au midi le Virginien. Le premier, laborieux, entreprenant, poussant jusqu’à la fièvre l’activité qu’il cache sous un extérieur froid et taciturne, ne recule devant aucune fatigue, devant aucun obstacle, pourvu qu’il aperçoive au-delà quelque intérêt de commerce ou d’industrie, n’hésite jamais à faire dans ce double but les tentatives les plus folles en apparence, semble puiser des forces nouvelles jusque dans l’insuccès, et par sa persévérance qui dégénère en entêtement, par sa confiance qu’on pourrait taxer de témérité, réalise ces prodiges que l’Europe vient étudier avec étonnement. Le second, vif, spirituel, mais paresseux par caractère et par préjugé, abandonne à ses esclaves le travail qu’il méprise. Celui-là, religieux et moral dans sa vie privée, appartient d’ordinaire à quelques branches du presbytérianisme ; celui-ci, plus que relâché dans ses mœurs, professe la religion épiscopale. L’Yankee descend des sectaires qui, persécutés par la mère-patrie, vinrent chercher la liberté de conscience dans les forêts du Nouveau-Monde et ne durent leur existence qu’à un travail opiniâtre et incessant : il a reçu de ses ancêtres des principes démocratiques qu’il conserve dans toute leur pureté. Le Virginien est l’héritier de ces favoris de la couronne qui reçurent à titre d’apanage de vastes concessions, et les exploitèrent, grace à leur fortune, sans sortir de l’oisiveté : aussi, tout en lui rappelle les habitudes, les instincts de l’aristocratie. Il montre encore avec plaisir ses anciennes armoiries et remplace par la qualification de colonel ou de général les titres nobiliaires prohibés par la république. Les habitans du nord doublent le produit de leurs terres par le commerce et l’industrie ; dans le sud, ce sont eux encore qui tiennent entre leurs mains ces deux sources de richesses. Le Virginien leur livre la matière première qu’il recueille dans ses plantations, mais ce sont les négocians yankee qui la travaillent et la répandent dans le monde entier.

À côté de ces deux variétés de la race anglaise, derrière les Alleganis et au nord des monts Cherokees s’élève et grandit chaque jour une population qui tend à prendre de plus en plus d’importance aux États-Unis. Les hommes de l’ouest sont les Anglo-Américains pur sang, car seuls ils ont rompu avec toutes les traditions européennes dont les habitans du littoral conservent encore quelques traces. Chez ces derniers, la centralisation gouvernementale trouve de nombreux et énergiques adversaires, soutiens zélés des droits des états, mais au moins ils ont conservé avec l’amour de leur province le respect