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plus honorables et des plus capables, mais avec lequel ils ont ou croient avoir je ne sais quel démêlé d’intérêt particulier.

Après les débats politiques arriveront, si toutefois il reste aux chambres un peu de temps, les affaires du pays. Il en est de très graves et de très compliquées. Ainsi, sous une forme ou sous une autre, nous verrons se reproduire l’interminable lutte des intérêts particuliers de telle ou telle industrie, de tels ou tels producteurs, avec l’intérêt général. Les prohibitifs avaient tenté de gagner leur procès par une phrase de l’adresse à la chambre des députés et à la chambre des pairs. La tentative a échoué dans l’une et l’autre enceinte. Les ministres ont déclaré dans les deux chambres que les phrases proposées n’avaient d’autre portée que celle d’une recommandation au gouvernement pour que, dans les mesures qu’il pourrait prendre au profit de notre commerce extérieur, il n’oubliât pas les ménagemens qui sont dus aux intérêts existans. C’est avec ce commentaire que les paragraphes ont été votés. Ainsi ils ne préjugent absolument rien. Il n’est pas de publiciste sérieux, pas d’économiste sensé qui veuille conseiller des mesures violentes, qui ne sache et n’enseigne que lorsque des faits considérables se sont établis sous la protection des lois, l’erreur elle-même mérite quelque respect et quelque ménagement. Les secousses, les brusques transitions ne conviennent pas à une administration sage et régulière. Mais il y a loin de là à la sanction et à la perpétuité d’un privilége. Privilége, quoi qu’on dise, est le mot propre. Tous les sophismes viennent échouer contre une observation bien simple. Prohibez un produit étranger, vous paralysez celles des industries françaises dont les produits serviraient à payer le produit étranger. Prohibez les fers, vous enrichirez nos propriétaires de forêts. Aux dépens de qui ? De nos producteurs de vin, de soieries, de nouveautés. La question n’est donc pas de savoir si on favorisera le travail national, phrase ambitieuse dont on se sert pour troubler les esprits, mais si on favorisera une certaine production aux dépens de certaines autres productions également nationales. Et comme parmi les productions favorisées, il en est qui sont forcément limitées par la nature des choses, et qui en conséquence n’admettent pas une pleine concurrence même à l’intérieur, la question est de savoir si on assurera, aux dépens de toutes les autres productions nationales et de tous les consommateurs, des profits énormes et permanens à certains producteurs. Le jour viendra où l’on ne sera étonné que d’une chose : c’est que des nations intelligentes aient pu s’aveugler si long-temps et méconnaître des vérités si manifestes. Au surplus, empressons-nous de le dire, de le répéter, notre gouvernement est entré dans la bonne voie ; il fait tout ce qu’il peut pour relâcher peu à peu les liens de la prohibition. Aussi notre commerce maritime a-t-il pris un grand essor ; il n’est pas ce qu’il pourrait être, mais il est encore moins ce qu’il était. Si l’on avait, il y a quelques années, annoncé comme imminentes toutes les modifications apportées successivement à nos tarifs, on n’aurait pas manqué de prédire la ruine complète du pays. Or,