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Siva, ou de Jaggernaut. La politique constante des gouverneurs de l’Inde avait été de maintenir une impartiale balance entre ces deux grands partis religieux. Les musulmans forment, dans cette partie de l’empire britannique, l’élément le plus uni et le plus compacte de la population, et une franc-maçonnerie des plus redoutables. De plus, on sait combien les tombeaux sont sacrés pour les mahométans, et combien la violation des sépultures leur inspire d’horreur. Or, Mahmoud le Ghaznévide, dont les Anglais avaient dépouillé et saccagé la tombe à Ghizni, était non-seulement un mahométan, mais un saint parmi les vrais croyans, et un grand homme dans l’histoire. Gibbon raconte qu’il avait entrepris une guerre sainte contre les idoles païennes et grossières de l’Inde. Quand il arriva à Somnauth, il donna lui-même un coup de massue sur la tête de l’idole qui était adorée dans le fameux temple de cette ville. Les brahmines terrifiés lui offrirent pour leur divinité une rançon de 250 millions de notre monnaie ; ses conseillers l’engagèrent à accepter, en lui disant que la destruction d’une image de pierre ne changerait pas le cœur des idolâtres, tandis que l’argent qu’ils offraient pouvait servir à soulager les vrais croyans. Le zélé serviteur du prophète répondit : « Vos raisons sont bonnes, mais jamais, dans la postérité, Mahmoud ne passera pour un marchand d’idoles. » Il brisa la tête de l’image, et il en sortit un flot de perles et de rubis qui y étaient cachés, et qui donnèrent le secret de la pieuse sollicitude des brahmines. La religion de Mahomet était donc, à tout prendre, un progrès sur celle des idoles, et c’est sans doute pour ce motif que la chambre des communes d’Angleterre a offert le singulier spectacle de sir Robert Inglis, le représentant de l’université d’Oxford et un des plus zélés puritains des trois royaumes, défendant la tombe de Mahmoud contre les prédilections idolâtres de lord Ellenborougb.

Lord Ellenborough avait fait un acte impolitique, c’était assez pour le compromettre partout ; il avait fait un acte ridicule, c’eût été assez pour le perdre en France ; il avait fait un acte en apparence irréligieux, ç’a été assez pour le perdre en Angleterre. Il y a deux ou trois jours, nous avons vu sa proclamation traduite régulièrement à la barre de la chambre des communes. La presse avait déjà accablé le gouverneur-général sous un déluge de sarcasmes, mais le parti religieux s’est bien gardé de rire, et il a formellement accusé lord Ellenborough d’avoir encouragé le paganisme et rendu hommage aux idoles. Le premier ministre de la Grande-Bretagne s’est