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JOURNAL D’UN PRISONNIER DANS L’AFGHANISTAN.

Ils s’habituaient insensiblement aux horreurs de leur position. Leur plus grande tribulation était la vermine, qu’ils ne pouvaient éviter. Il faut voir l’espèce de terreur qui les saisit la première fois qu’ils trouvèrent… un pou. Au bout de quelque temps, ils réussirent à enlever aux Afghans le soin de leur faire leur cuisine, et eurent la consolation de restituer ces fonctions à leurs domestiques indiens. Du reste, les Afghans se montraient pour eux d’assez agréables compagnons de voyage, très enclins à la conversation et à la plaisanterie, et doués, à ce qu’il paraît, d’une indépendance et d’une aisance de manières qui contrastaient singulièrement avec les façons serviles des nobles de l’Indoustan. Mahomed-Akbar, depuis qu’ils étaient complètement en son pouvoir, leur témoignait beaucoup d’égards. Il avait laissé aux officiers leurs épées. Un jour, sachant qu’ils avaient besoin d’argent, il leur donna 1,000 roupies. Il les laissait même communiquer avec Jellalabad, et un de leurs jours les plus heureux fut celui où ils reçurent de cette ville un paquet de lettres et de journaux, avec des vêtemens et du linge, que les officiers de la garnison leur envoyèrent généreusement. Leurs amis avaient imaginé un moyen fort ingénieux de communiquer secrètement avec eux. Ils faisaient des marques sur des lettres de l’alphabet dans les journaux, et composaient ainsi des mots que ne pouvaient découvrir ceux qui n’étaient pas prévenus. Ce fut ainsi que les prisonniers apprirent qu’il arrivait des renforts de l’Inde, et qu’ils surent aussi pour la première fois que le docteur Brydon était arrivé seul à Jellalabad. Ils apprirent en même temps, par les Afghans, que le shah Soudja avait été tué d’un coup de fusil à Caboul par un de ses gens.

Les captifs vécurent ainsi pendant deux mois. Au milieu de ces dures épreuves, on les voit encore conserver strictement leurs habitudes religieuses. Un dimanche, on leur donna, à leur grande joie, vingt-quatre heures de halte. « Nous en profitâmes, dit M. Eyre, non-seulement pour prendre un peu de repos, mais surtout pour accomplir nos dévotions du sabbat, ce qui, dans les circonstances où nous nous trouvions, ne pouvait manquer d’être pour nous une consolation plus qu’ordinaire. »

Cependant les Afghans commençaient à les piller. Ainsi un jour un des chefs s’empara de cachemires qui étaient à lady Mac-Naghten, et qui valaient environ 125,000 fr. ; il lui prit aussi pour 250,000 fr. de bijoux. Pendant ces deux mois, quatre des prisonnières accouchèrent ; les femmes supportaient la fatigue avec un courage qui tenait du miracle. Le général Elphinstone fut moins heureux. Il lui restait