Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/691

Cette page a été validée par deux contributeurs.
685
JOURNAL D’UN PRISONNIER DANS L’AFGHANISTAN.

Anglais recevaient des avertissemens sinistres. Le shah Soudja lui-même leur fit dire à plusieurs reprises qu’ils allaient à leur ruine, et il engagea instamment lady Mac-Naghten à venir se mettre sous sa protection dans la citadelle. « Mais, dit M. Eyre, tout fut inutile. Le général et son conseil de guerre avaient décidé que nous partirions, et il fallut partir. »

Nous avons maintenant à suivre l’armée anglaise dans les vicissitudes de sa terrible retraite. Nous avons, dans une autre occasion, comparé cette expédition désastreuse à la retraite de l’armée française de Moscou, et ce rapprochement a pu paraître au premier abord empreint d’une certaine exagération. Sans aucun doute, les aventures de l’armée anglaise dans l’Afghanistan n’ont point ces proportions épiques avec lesquelles la campagne de notre grande armée apparaît dans l’histoire. Cependant, dans un cadre plus restreint, elles offrent pour ainsi dire un résumé de toutes les souffrances et de toutes les calamités qui peuvent frapper une armée en déroute. Le tableau qu’en a tracé M. Eyre est, dans sa simplicité, rempli d’un intérêt poignant. Nous conserverons l’ordre qu’a suivi le narrateur, en assignant à chaque jour de cette affreuse semaine sa part de malheurs. Les Anglais se mirent en marche le 6 janvier, et le 13 il ne restait de dix-sept mille hommes, femmes et enfans, que des cadavres et quelques prisonniers.

Il faut connaître la composition d’une armée indienne pour bien apprécier les immenses difficultés que les Anglais avaient à combattre. Sur ces dix-sept mille individus qui allaient s’engager dans des gorges impraticables, il n’y avait pas plus de quatre mille cinq cents combattans, en y comprenant les soldats indigènes. Le reste se composait de ce qu’on appelle dans l’Inde camp followers (suivans de camp), qui sont les domestiques des officiers et des soldats, car dans une armée indienne chaque soldat a plusieurs hommes affectés à son service personnel. Cette masse inutile, augmentée encore par les femmes et les enfans, fut la cause principale de l’entière destruction de l’armée, car elle jeta dans toutes les opérations un désordre qu’il fut impossible de réparer. Quant aux femmes et aux enfans, il suffira de dire que la femme du capitaine Trevor avait avec elle sept enfans, et était grosse d’un huitième qui naquit depuis dans la captivité.

Le 6 janvier 1842, ces malheureux se mirent en route. On ouvrit une brèche dans le rempart du camp pour donner passage aux troupes et aux équipages ; environ deux mille chameaux emportaient ce qui