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LA LITTÉRATURE ILLUSTRÉE.

l’allure propre, l’indépendance. Les publications pittoresques n’ont jamais fait que poser ce problème à tous les écrivains : trouver le moyen de mettre en prose des coups de crayon, de traduire des figures en paroles, comme l’on met de mauvais vers sous les notes du musicien. Nous ne sommes étonné que d’un fait, c’est que des hommes de talent aient pu se plier à de semblables exigences, c’est que des hommes d’imagination aient pu volontairement renoncer à la plus belle de toutes les prérogatives de l’esprit : celle d’inventer son œuvre, et de la conduire en pleine liberté.

Nous devons le dire hautement, car nous ne nous occupons de toutes ces fantaisies de gravure sur bois et de lithographie que dans leurs rapports avec la littérature, s’il y a décrépitude visible des formes, de la pensée, il ne faudrait pas seulement en rejeter la faute sur la librairie. La librairie, sans doute, est coupable de la déchéance progressive de la littérature, mais les écrivains eux-mêmes sont complices. Ce n’est point le talent qui a manqué de nos jours aux hommes qui écrivent ; jamais époque peut-être, en virtualité, en faculté de poésie, ne fut aussi privilégiée que la nôtre ; jamais il ne fut donné à la critique de contempler une plus riche et plus forte expansion de tous les genres d’esprit. Ce qui a manqué, c’est la règle du talent, c’est le respect de soi-même et de son travail.

Il n’est pas étonnant que, dans une époque industrielle, avec la grande surexcitation d’esprit qui nous pousse aux jouissances, la littérature ait voulu devenir une industrie, un instrument de fortune. Mais rendons-en grace à la nature même de la pensée, du moment où la littérature a prétendu se matérialiser ainsi, battre monnaie avec ses produits, elle s’est suicidée. L’esprit n’est pas une machine à filer qui n’a besoin que d’un jet de vapeur pour ranimer ses rouages et rendre chaque jour, et sans cesse, sans fatigue et sans péril, la même somme de travail, la même quantité de produits. Si l’esprit est infini comme Dieu, son origine et son essence, son labeur est limité. Il est composé de facultés diverses qui s’aident et qui se contrôlent. Pour produire de grandes œuvres empreintes de génie, il a besoin de toutes ces facultés, mais il ne les trouve pas toutes et à toute heure. Le champ de l’esprit, c’est le temps, ce mystérieux milieu dont il a besoin pour créer. Il lui faut recueillir les élémens de ses œuvres, les combiner, attendre ceux qui ne sont pas venus, diriger tous les coups de fortune de l’inspiration, tous les calculs de la réflexion vers un centre et toujours vers un centre unique. Les natures les plus richement organisées, les hommes qui ont reçu