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LA LITTÉRATURE ILLUSTRÉE.

la patrie naturelle de toutes les idées commerciales. La librairie anglaise n’avait vu que le moyen de vendre beaucoup de feuilles de papier en leur donnant le double attrait de l’image et de la gravure. Le succès de vente légitima l’entreprise. La librairie française se hâta bien vite d’importer chez elle ce commerce. On fit venir de Londres des graveurs anglais, et l’on publia en France des magasins pittoresques à deux sous la feuille. Cependant, comme on comprenait qu’il fallait procéder par voie d’abonnement et non par la vente au détail, que ce qui pouvait convenir à la curiosité désintéressée de la famille anglaise ne suffirait pas aux exigences actuelles de notre esprit, ces magasins eurent dès l’abord la prétention de faire l’éducation du peuple à bon marché, de multiplier chez lui sans fatigue, sans peine, sans perte de temps, des connaissances universelles. Il en est résulté que magasins et musées ont augmenté cette confusion d’idées, mille fois pire que l’ignorance, qui laisse les classes intermédiaires à la porte de toutes les connaissances et leur inocule la vanité, la plus triste de toutes les maladies de l’esprit.

Peut-être eût-il été possible que les magasins pittoresques, s’ils avaient été rédigés dans un ordre méthodique, avec une intention précise, comme certains livres faits pour populariser la science, eussent contribué à la diffusion de ces notions élémentaires que tout homme, quel que soit son rang, doit posséder dans la vie habituelle ; mais il règne dans toutes les publications périodiques accompagnées de gravures la plus complète anarchie de connaissances. Tantôt ce sont des curiosités de costumes, tantôt des expositions d’art, quelquefois de philosophie transcendante, d’autres fois d’histoire naturelle, tout ce qu’il est possible d’imaginer de plus opposé, de plus confus, de plus fragmentaire, et conséquemment de plus insaisissable. Quelqu’un qui aurait conservé dans la mémoire les sujets traités par l’un de ces magasins pittoresques se croirait sous l’obsession d’un de ces rêves laborieux où toutes les formes se confondent et se transfigurent incessamment, où se brisent continuellement toutes les conditions de temps et d’étendue. Quelqu’un qui lirait assidûment et ne lirait qu’un semblable ouvrage, s’il arrivait à cet effort de génie de bien classer ses lectures dans sa tête, aurait le droit de citer beaucoup de choses sans en savoir aucune. Il ne faut pas croire que les œuvres collectives et périodiques, par cela seul que la variété se trouve être un de leurs principaux élémens d’existence, ne doivent pas cependant être faites dans une vue d’ensemble, avec ordre et unité. Une revue constituée avec intelligence,