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l’esprit de La Fontaine, l’œuvre d’Oudry, malgré la facilité et la latitude que lui laissait la gravure sur cuivre, n’est guère autre chose qu’une collection fastidieuse de bêtes et de vues.

M. Grandville, au contraire, a voulu et a su se tenir à l’esprit de la fable. Il s’est créé un monde d’animaux plus ou moins humanisés. De ceux-là il n’a pris que la tête, de ceux-ci le corps entier. Il les a tous ramenés, mammifères, oiseaux, poissons ou insectes, à un seul principe, leur rapport avec l’homme. Les créations de M. Gandville pourraient démontrer par la physionomie le système de M. Geoffroy Saint-Hilaire, l’unité, l’échelle ascendante de vie, l’animalité multiple dont l’homme est sur cette terre le dernier échelon. Malheureusement le peintre officiel des bêtes n’a pas su s’arrêter à propos dans ce travestissement universel du monde animal. Il y avait tout au plus une trentaine de fables qu’il pût illustrer avec esprit et sans violer les convenances. Il a voulu les illustrer toutes, et il a reproduit des scènes impossibles à reproduire. Dans les Animaux peints par eux-mêmes, il a poussé encore plus loin l’exagération de ce défaut. Les races qui ne peuvent avoir une ressemblance assez voisine avec l’homme se sont vues travesties, contraintes de représenter nos gestes, nos habitudes, nos costumes. Il a fait des éléphans qui fument des cigares, des escargots majestueusement traînés en carrosse, des crocodiles attablés au milieu de bouteilles et de plats, des chevaux tenant une plume à leur sabot. Cette puérilité poussée à l’extrême, cette absence de goût, deviennent à la longue l’impertinence du fantastique. Avec sa finesse d’observation, M. Grandville n’a pas vu que peu d’animaux se rapprochent assez, par certains côtés, de quelques hommes, pour légitimer ses spirituelles mascarades. Avec les fourmis, les coléoptères, les chiens, les rats et quelques oiseaux, il a dessiné des scènes, créé une race hybride, qui lui assignent une place à part dans l’histoire de l’art de notre époque. Pour les portraits de petits animaux, car l’instinct, signe d’une origine commune, rapproche dans l’enfance toutes les races, M. Grandville a trouvé des formes, des attitudes admirables. Seulement on pourrait lui reprocher l’absence d’expression et de naïveté. Le talent de M. Grandville est systématique, volontaire ; il s’est formé par la patience, l’étude, l’observation ; on sent qu’il se rattache à deux ou trois théories inflexibles ; on n’y trouve pas assez ce qui est un des plus grands charmes de l’art, la spontanéité, l’entrain, l’abandon ; la facilité généreuse qui produit toujours et se régénère sans cesse. La manière de M. Grandville est passée dans son