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pas sans de longs et douloureux combats qu’ils se sont résignés à subir enfin dans toute sa rigueur cet humiliant servage littéraire. Mais ces derniers sont rares, et ce qui met le plus souvent tant de jeunes esprits au service de la spéculation, c’est l’appât des gains faciles ou je ne sais quel sentiment de puérile vanité.

Si la valeur des ouvrages pittoresques est littérairement ce qu’elle devait être, en fait d’art, la gravure sur bois et la lithographie ont produit peu de talens. M. Tony Johannot, qui possède la réputation la plus populaire, et la plus ancienne, est un dessinateur ordinaire. Il a une élégance maniérée qui n’atteint, à vrai dire, ni au sentiment ni au style. Cependant M. Johannot a un mérite qu’il serait injuste de lui refuser. Il a trouvé une certaine somme de procédés et d’effets qui sont des imitations telles quelles de la nature. Il a été suivi dans cette voie par deux hommes de talent et de fantaisie, M. Baron et M. Célestin Nanteuil. Cependant M. Tony Johannot a toujours tenu le premier rang dans la faveur publique. Il n’est guère d’illustration, petite ou grande, qui n’ait été faite, sinon entièrement, au moins partiellement par lui. Il a eu les honneurs de tous nos poètes et du frontispice de tous nos romanciers modernes, de Châteaubriand, de Lamartine, de Victor Hugo, sans compter les morts, Molière, l’abbé Prévost, et quelques autres encore. Il a débuté dans le domaine fantastique du moyen-âge, qu’il affectionne beaucoup, par l’illustration des Sept châteaux du roi de Bohême. Venu à l’époque de réaction qui nous emportait vers les souvenirs de la féodalité, vers cette poésie archéologique de l’Allemagne, il en a exhumé tout le vestiaire. Il dessinait ces armures tant décrites alors, ces longs corsages plats, ces longues robes à plis fins, ces cheveux flottans des femmes et des anges sculptés dans les voussures des cathédrales. Il a vu tout le parti qu’on pouvait tirer des ajustemens anciens, depuis ceux de l’école flamande jusqu’à ceux de l’école florentine. Copiste intelligent et persévérant de nos musées, il pouvait paraître original aux mémoires fatiguées des nudités froides de Prudhon. Il transporta sur le bois la révolution qui se faisait dans la peinture.

Cependant il se présenta un ouvrage de fantaisie par excellence, qui concordait admirablement avec le talent du peintre, avec ses études antérieures de costumes, le seul ouvrage peut-être dont l’illustration aurait des chances de pardon à nos yeux, c’est le roman de Cervantes. Dans ce texte, en effet, sont réunis tous les con-