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LA RUSSIE.

peu près semblable à une douzaine de religieuses qui étaient venues là en pélerinage, et, sous une longue voûte sombre et humide, plusieurs pauvres se partageaient les chaudières de soupe et les morceaux de pain noir que la charité du couvent leur distribue chaque jour.

La demeure des moines est spacieuse et élégante. Le mot de cellule est trop modeste pour en donner une juste idée. Chacun d’eux a pour lui seul une chambre à coucher, un cabinet qui lui sert d’oratoire, et un salon de réception. J’ai trouvé là des tapis étendus sur le parquet, des canapés, des gravures assez mondaines, et des livres ; mais ces livres ne donnent pas, à vrai dire, une haute idée de l’instruction des religieux. Plusieurs pauvres prêtres d’Islande ont dans leur misérable cabane des ouvrages français, allemands, danois. Dans le salon si paré et si coquet des moines de Troïtza, je n’ai vu que des ouvrages russes, des recueils de sermons, des traités de théologie, et quelques dissertations d’histoire.

Troïtza est pourtant le siége d’une de ces académies ecclésiastiques qui remplacent en Russie nos séminaires. Elle fut fondée à Moscou en 1673, sous le règne du tsar Théodore, frère aîné de Pierre-le-Grand. Ce n’était d’abord qu’une simple école destinée à raviver les études du clergé, qui, par suite des troubles politiques, étaient tombées dans un déplorable état de décadence. Dix ans après, cette école fut agrandie et honorée du titre d’académie. Ses élèves furent investis de plusieurs priviléges notables ; ils ne reconnaissaient d’autre juridiction que celle de leurs maîtres, et pendant tout le temps de leurs études ils ne pouvaient être arrêtés que sur l’accusation d’un crime capital. Les professeurs venaient pour la plupart de la Grèce ; quelques-uns d’entre eux, choisis par le patriarche de Constantinople, étaient des hommes d’une vraie distinction, et rendirent d’importans services au pays où ils étaient appelés. Les leçons se faisaient en grec et en latin.

En 1814, toutes les écoles du clergé ayant subi une nouvelle réforme, celle de Moscou fut transportée à Troïtza. On y compte à présent quinze professeurs et cent trente élèves. Cette académie ecclésiastique possède une bibliothèque de dix-huit mille volumes environ, parmi lesquels on remarque une collection de Bibles dans toutes les langues connues, et un Pentateuque hébreu écrit sur parchemin en 1142. La durée des études à l’académie est de quatre années. Les deux premières sont consacrées à l’enseignement de la philosophie, de ses divers systèmes et de son histoire, de la littérature moderne et ancienne, nationale et étrangère, de l’histoire des autres peuples et de celle de Russie. Les élèves doivent en outre suivre le cours de statistique, de géographie ancienne et moderne, de mathématiques, de sciences naturelles, de langues grecque, française, allemande. Pendant les deux autres années, ils étudient la théologie dogmatique, le droit canon, la polémique, l’exégèse, l’archéologie biblique et ecclésiastique, et l’hébreu. Ce programme d’études est assez large, malheureusement il est restreint dans l’exécution par toutes les réserves politiques, historiques, religieuses, qui entravent l’éducation en Russie, et surtout l’éducation du clergé. L’aca-