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VAILLANCE.

ai fait tout le mal ! Mon Dieu, pardonnez-moi ! pardonne-moi, ma chère infortunée ! — Mais Jeanne ne l’entendait pas. Elle appelait sir George avec amour, puis tout d’un coup elle poussait un cri déchirant et cachait sa tête sous les couvertures, comme pour ne point voir un fantôme menaçant qui venait toujours se placer entre elle et son fiancé. Et vainement Joseph lui criait-il qu’on l’avait trompée et que George était libre : la malheureuse n’entendait que les cris de son propre cœur. En présence d’une si grande douleur, Joseph avait noyé ses mauvais instincts dans les larmes du repentir ; volontiers il eût donné sa vie pour pouvoir assurer le bonheur de sa chère souffrante, et racheter ainsi un moment d’erreur et d’égarement. Plus d’une fois il alla supplier ses deux frères de rappeler sir George ; mais Christophe et Jean répondaient, l’un qu’il fallait voir, l’autre qu’il fallait attendre. Entre leur égoïsme et leur tendresse, ce fut, on le peut croire, une lutte acharnée et terrible. Sans doute la tendresse aurait fini par l’emporter ; mais le danger n’avait duré qu’un jour, et le danger passé, l’égoïsme triompha.

Le délire avait cessé, le feu de la fièvre s’était abattu. Jeanne semblait résignée, mais, en voyant son pâle et triste visage, on pouvait aisément deviner qu’elle était morte à toute joie aussi bien qu’à toute espérance. Christophe et Jean profitaient de son sommeil pour se glisser à pas de loup dans sa chambre, car elle s’était obstinée à ne point les recevoir. Ils s’approchaient de son lit, la regardaient d’un air attendri et se retiraient en pleurant comme de vrais enfans qu’ils étaient.

— Tiens, dit un jour Jean à Christophe, ça me fend le cœur de la voir ainsi ! Je crois que nous ferions bien de rappeler cet enragé de sir George. Je ne l’aime pas, mille canons ! mais vois-tu, Christophe, que ce soit lui ou un autre, il faudra bien tôt ou tard en passer par là.

— Je ne conçois pas, répondit Christophe, cette manie qu’ont les petites filles de vouloir se marier !

— Que diable veux-tu, mon pauvre Christophe ! répliqua Jean en soupirant ; il paraît que c’est partout comme ça.

— Il faut voir, il faut attendre, dit Christophe ; d’ailleurs sir George est parti.

— Qui le sait ? dit Jean.

— Je suis sûr qu’il est parti, affirma Christophe avec assurance.

— En ce cas, ajouta Jean avec une secrète satisfaction, nous aurons fait notre devoir et n’aurons rien à nous reprocher.