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— Chère enfant, dit Joseph, il reste à sir George de graves devoirs à remplir. Il a des comptes à rendre devant le conseil d’amirauté de son pays. Il y va de bien plus que sa vie, puisqu’il y va de son honneur.

— Je vous dis, moi, que c’est impossible, s’écria Jeanne avec fermeté. Il y a des raisons pour que sir George ne parte point. Il faut courir et le ramener. Ce n’est point de son gré que sir George a quitté ces lieux, je le sais, je le sens, j’en suis sûre. Il n’y a point de sloop à Saint-Brieuc prêt à partir pour l’Angleterre : le vent est contraire ; je m’y connais. Vous me trompez.

— Voyons, voyons, dit à son tour Jean d’un air patelin, voici des enfantillages ! En fin de compte, qu’y a-t-il de changé autour de toi ? Ne sommes-nous plus tes vieux oncles ?

— Oui ! s’écria-t-elle en passant tout d’un coup de l’exaltation à l’attendrissement ; oui, vous êtes toujours mes vieux oncles, mes bons et vieux amis, n’est-ce pas ? Oui, je suis toujours votre enfant bien-aimée, ajouta-t-elle d’une voix suppliante, en allant de l’un à l’autre et en les embrassant tour à tour. Mon oncle l’amiral, vous m’avez appelée du nom de votre brick. Mon oncle le colonel, vous êtes mon parrain ; je porte votre nom. C’est vous qui le premier m’avez bercée sur votre noble poitrine ; c’est vous qui m’avez appris à chérir les armes de la France et la gloire de votre empereur. Et toi, mon bon Joseph, toi dont les prières sont si agréables à Dieu, je suis ton élève, ta sœur et ta compagne.

— Ah ! syrène ! ah ! serpent ! murmura Christophe en essayant, mais vainement, de surmonter son émotion.

— Puisque vous m’aimez, reprit-elle, vous ne voulez pas que je meure, car elle en mourrait, votre Jeanne !

— Mourir ! s’écrièrent-ils tous trois, en se pressant autour de leur nièce.

— Mes oncles, dit Jeanne avec une noble fierté, j’aime sir George, il m’aime. Je l’ai déjà nommé mon époux dans mon cœur ; si je le perds, votre nièce est veuve, et n’a plus qu’à mourir.

— Quelle folie ! dit Jean ; un méchant petit officier de marine qui n’a pas le sou !

— Je l’aime et je suis riche, répondit la jeune fille.

— Un maladroit, dit, Christophe, qui ne sait même pas les élémens de son métier, et que l’amirauté britannique devrait faire passer par les verges, sur l’une des places de Londres !

— Qu’importe, si je l’aime ? répondit Jeanne avec orgueil.