Christophe et Jean, qui achevaient en cet instant une partie d’échecs, se levèrent, tout effrayés du bouleversement de ses traits. Leur esprit alla droit à Jeanne.
— Que se passe-t-il ? qu’est-il arrivé à Vaillance ?
Tel fut leur premier cri à tous deux. Joseph s’était laissé tomber sur une chaise et tenait sa tête cachée entre ses mains.
— Parle donc, malheureux ! s’écria Christophe en le secouant par le bras.
— Que se passe-t-il ? répéta Jean avec anxiété.
— Ce qui se passe, mes frères ! dit enfin Joseph d’une voix tremblante ; vous me demandez ce qui se passe ! Comment, grand Dieu ! ne le savez-vous pas ?
— Mais, triple oison ! s’écria Jean en frappant du pied, si nous le savions, nous ne le demanderions pas.
— Eh bien ! dit Joseph en faisant un effort sur lui-même, Jeanne, notre nièce, notre enfant bien-aimée, la joie de ce foyer, l’orgueil du Coät-d Or, notre amour, notre vie enfin…
— Morte ! s’écrièrent à la fois les deux frères.
— Morte pour nous, si nous n’y prenons garde, dit Joseph avec désespoir.
— Mais parle donc, malheureux, parle donc ! s’écria Christophe d’un ton de colère suppliante.
— Eh bien ! reprit Joseph, cet étranger que nous avons reçu sous notre toit, cet officier, cet Anglais, sir George… Mes frères, maudit soit le jour où cet homme a franchi le seuil de notre maison !
Jean et Christophe étaient sur des charbons ardens.
— Eh bien ! s’écrièrent-ils ; Jeanne et sir George…
— Ils s’aiment !
Une aérolithe, crevant le toit du Coät-d’Or et tombant aux pieds des deux frères, les aurait frappés de moins de stupeur et de moins d’épouvante. Ils restèrent attérés, sans voix, sans mouvement, foudroyés sur place.
— C’est impossible, dit enfin Christophe ; Vaillance Legoff ne peut pas aimer un Anglais.
— Jeanne n’oublierait pas à ce point, ajouta Jean, ce qu’elle doit à son nom, à son pays, à la mémoire de son père, aux cendres de Napoléon.
— Jeanne a seize ans, elle aime, elle oublie tout, s’écria Joseph.
Et il raconta ce qu’il avait vu, ce qu’il avait observé depuis l’entrée de sir George au Coät-d’Or. Non-seulement il prouva que ces deux