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ici la loi et nous mener, tranchons le mot, par le bout du nez. Je me charge de lui parler d’une rude façon.

— Et moi, dit Jean, de lui tracer une ligne de conduite un peu différente de celle qu’elle a suivie jusqu’à présent.

— Écoutez ! s’écria Joseph en se levant par un brusque mouvement d’épouvante.

C’était la tempête qui redoublait de furie. Les vagues s’engouffraient avec un horrible fracas dans les criques et dans les anfractuosités des rochers qui bordent le rivage. Bien qu’on fût au mois de février, la foudre grondait, et l’on pouvait voir, à la lueur des éclairs, la mer qui roulait des montagnes. Les trois Legoff restèrent immobiles d’effroi. L’horloge sonna huit heures.

— Allons, mes frères, dit Joseph, c’est perdre trop de temps en paroles. Qu’on allume des torches, et que tous nos serviteurs viennent avec nous explorer la côte et les environs !

Mais comme ils se préparaient à sortir, un violent coup de marteau ébranla la porte du château ; presque en même temps le pavé de la cour résonna sous les pas d’un cheval, et la maison tout entière retentit d’aboiemens joyeux.

— Que le saint nom de Dieu soit béni ! s’écria Joseph dans un pieux transport de joie et de reconnaissance.

Jean et Christophe étouffèrent l’élan de leur cœur, et s’apprêtèrent à recevoir la jeune fille selon ses mérites. Effrayé de l’expression de sévérité qui assombrissait leur visage :

— Mes frères, dit Joseph, soyons indulgens encore une fois. Ne traitons pas cette enfant avec une rudesse à laquelle nous ne l’avons pas habituée. C’est une ame susceptible et tendre qu’il faut craindre d’effaroucher.

— Tu vas voir, dit Christophe à Jean, ce chien couchant lui lécher les pieds.

Joseph voulut insister ; mais tout à coup deux grands lévriers se précipitèrent dans le salon, sautèrent follement sur les meubles, se roulèrent sur le tapis, puis s’échappèrent brusquement pour revenir presque aussitôt, escortant de leurs gambades l’entrée de leur jeune maîtresse.

Elle entra, calme et souriante, la cravache au poing.

C’était une grande et belle fille, regard fier, taille élancée, peau brune, fine et transparente. Elle n’avait pas la frêle délicatesse de ces fleurs de salon auxquelles il faut ménager avec soin les baisers du soleil et les caresses de la brise ; on eût dit plutôt, en la voyant, une