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VAILLANCE.

tophe ou Jean, à tour de rôle, se levait, allait entr’ouvrir les rideaux d’une fenêtre, puis, après être resté quelques instans en observation, retournait à sa place d’un air agité. Joseph n’interrompait ses prières que pour consulter le cadran d’une de ces horloges de village vulgairement appelée coucou, qui mêlait son chant monotone aux cris du grillon et aux sifflemens de la bise. Bien que la soirée fût peu avancée, il faisait nuit sombre. La chambre n’était éclairée que par la lueur du foyer. La tempête soufflait au dehors.

L’horloge sonna sept heures ; au septième coup, Christophe et Jean se levèrent brusquement et se prirent à marcher de long en large dans la salle. Une vive anxiété se peignait sur leur visage. Immobile à sa place, Joseph avait redoublé de ferveur dans ses prières. On entendait le grésillement de la pluie qui fouettait les vitres, et la voix furieuse de l’Océan qui se brisait contre les rochers du rivage.

— Mauvais temps ! dit Jean.

— Fatal anniversaire ! ajouta Christophe. Voici dix-neuf ans qu’à pareil jour, par un temps pareil, notre vieux père et notre jeune frère ont péri dans les flots.

— Dieu veuille avoir leur ame ! murmura Joseph en se signant.

— Et voici jour pour jour, heure pour heure, dix-sept ans que Jérôme est mort, s’écria Jean en hochant la tête.

— C’est vrai, dit Christophe avec un sentiment de terreur religieuse.

— Mon Dieu ! s’écria Joseph avec onction, qu’il vous plaise que ce funeste jour ne nous amène pas quelque nouveau malheur !

En cet instant, la porte du salon s’ouvrit, et un serviteur parut sur le seuil. L’eau ruisselait le long de ses cheveux et de ses habits.

— Eh bien ! Yvon, quelle nouvelle ? demandèrent à la fois les trois frères.

— Mes maîtres, rien de nouveau, répondit Yvon d’un air consterné. Nous avons battu la côte depuis Bignic jusqu’à la Herissière, où nous avons perdu les traces de notre jeune maîtresse. Ce matin, à Bignic, on l’a vue passer à cheval. Il faut qu’entre les deux villages mademoiselle se soit jetée dans les terres, à moins que, profitant de la basse marée, elle ait quitté la côte pour prendre par les brisans.

— Dans ce dernier cas, nous sommes tous perdus, s’écria Christophe avec désespoir.

— Il est plus probable, reprit Yvon, que mademoiselle, surprise par le grain, se sera réfugiée sous quelque toit des environs.