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REVUE. — CHRONIQUE.

Comme la discussion de l’adresse est en Angleterre beaucoup plus rapide que chez nous, il se pourrait, si le débat dans la chambre des députés ne se termine pas cette semaine, que le feu de la discussion anglaise vînt se croiser avec celui de nos orateurs.

Il paraît que l’influence anglaise vient d’éprouver un échec à Lisbonne. On dit que le traité de commerce était convenu, paraphé, qu’il ne restait qu’à régler les tarifs, et que c’est sur ce point capital que le dissentiment a éclaté. Si la nouvelle est fondée, elle n’est pas sans importance. Le gouvernement espagnol osera-t-il conclure un traité que refuse, indirectement du moins, le gouvernement portugais ?


THÉÂTRE-FRANÇAIS — Reprise de PHÈDRE.

On sait qu’un jour l’un des sévères instituteurs de Port-Royal gourmanda vivement Racine pour avoir lu un roman en cachette ; or, ce roman, on le sait aussi, était Théagène et Chariclée, que le jeune écolier lisait dans le texte grec. Il me semble qu’avec ce seul fait l’on pénètre dans l’ame de Racine, et l’on y assiste à la naissance des pensées qui s’y développèrent avec tant de grace. Racine, sous les grilles du collége et du sein d’une religion austère, était entraîné par les premiers instincts de son cœur vers les riantes régions du monde antique. Autour du sombre monastère où les jours de l’étude s’écoulaient pour lui, la nature l’appelait par ses voix païennes. Vénus, la Vénus de Lucrèce, notre mère éternellement jeune et belle venait lui jeter son sourire à travers les hautes fenêtres du couvent. L’enfant répondait au sourire de la déesse, mais furtivement et sans trop se laisser distraire des graves pratiques qu’on accomplissait sous ses yeux. Dans son cœur, il y avait place pour les deux cultes entre lesquels se partage la race humaine. Après s’être enfoncé dans les pages de Tertullien et de l’Imitation du Christ comme un promeneur solitaire s’enfonce dans les ténébreuses galeries d’un cloître, il prenait joyeusement sa volée à travers les pages de Théocrite vers une Tempé au ciel transparent.

Les œuvres de Racine offrent toutes le mélange des deux sentimens qui se partagèrent son ame, l’amour inné de la beauté antique et le dévouement sincère aux lois de la morale chrétienne. À ces deux sentimens qui prirent, chez lui, leur essor dans les studieuses années de l’enfance, les jours dorés de la jeunesse en ajoutèrent un troisième, le culte soumis et tendre de l’élégance exquise que faisait alors régner sur l’esprit français le plus galant des monarques. De là dans ses tragédies je ne sais quelle lumière brillante qui ne vient ni du soleil qu’arrêta Josué, ni du soleil dont Phèdre est la fille, mais