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LA PRESSE ET LES ÉLECTIONS ESPAGNOLES.

électoral, commencent à leur paraître des moyens tout aussi sûrs, quoique moins violens. Ils s’habituent, avant de prendre un parti, à en calculer les conséquences. Ils ne se lancent plus étourdiment dans la destruction d’une forme de gouvernement, sans se demander ce qu’ils mettront à la place. Ils comprennent le jeu des partis, ces transactions, ces concessions mutuelles, ces réunions et ces séparations successives, qui font la vie des nations libres. Les divergences qui auraient été pour eux, dans d’autres temps, des questions de gouvernement ou de dynastie, se rapetissent peu à peu, et sont déjà bien près de n’être plus que de simples questions ministérielles. On apprend à attendre, à se ménager, on n’est plus si près de se dévorer au moindre dissentiment. Les amis de l’ordre apprennent qu’il est conciliable avec la liberté, et les amis de la liberté, qu’elle est conciliable avec l’ordre. Il se forme peu à peu un grand parti monarchique constitutionnel, et mieux qu’un grand parti, une nation.

Ce spectacle est d’autant plus consolant, que les Espagnols sont dignes de la liberté ; ils l’ont prouvé dans l’occasion récente. Nous, Français, si justement fiers d’une plus longue pratique du gouvernement libre, aurions-nous pu nous flatter de donner l’exemple qu’ils viennent de donner ? Supposons qu’un homme, un soldat, investi parmi nous du prestige militaire qui environne en Espagne Espartero, eût bombardé la seconde ville du royaume et menacé du même sort quiconque eût entrepris de lui résister, se serait-il trouvé dans le pays et assez d’énergie pour vaincre cet homme par les armes légales, et assez de sang-froid pour attendre de ces armes seules une juste réparation ? Peut-être est-il permis de dire que la France se serait insurgée ou aurait cédé ; l’Espagne n’a fait ni l’un ni l’autre, et elle a bien fait. Il s’est trouvé des journaux pour traduire le dictateur devant l’opinion publique, des députés pour mettre en accusation les ministres, et signer de leur nom l’acte vengeur ; cependant l’ordre matériel n’a pas été troublé, et l’Espagne ne s’est pas rejetée dans la tempête des révolutions. C’est là un courage et une patience, une intelligence et une fermeté qui font honneur à l’esprit public de nos voisins. Il faut espérer que les élections compléteront l’œuvre, et qu’elles s’accompliront librement et hardiment sous les baïonnettes. L’Espagne n’a plus que cette dernière épreuve à subir pour conquérir tout-à-fait sa place parmi les peuples libres.

En même temps que la liberté se fortifie, la monarchie, cette compagne nécessaire de la liberté chez les grands peuples, se consolide aussi. Tout le monde sent maintenant que la monarchie sera le salut du pays. C’est un des sentimens qui font le plus d’honneur à l’humanité, que ce respect du droit qui est le fondement des monarchies. Voilà une jeune fille faible, désarmée, orpheline, une enfant de douze ans qui n’a d’autre force que ses larmes, et à côté d’elle un victorieux qui a mis fin à la guerre de Navarre, un général entouré de ses soldats obéissans, un homme dont la colère est terrible. Eh bien ! ce n’est pas à l’homme, c’est à l’enfant que s’adressent tous les hommages,