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vions la côte, d’assez loin toutefois pour ne la distinguer qu’avec peine, car le soir approchait, et le soleil descendait majestueusement dans la mer sur un escalier étincelant formé par cinq ou six marches de nuages de la plus riche pourpre.

Il était nuit noire lorsque nous arrivâmes à Cadix ; les lanternes des vaisseaux, des barques à l’ancre dans la rade, les lumières de la ville, les étoiles du ciel, criblaient le clapotis des vagues de millions de paillettes d’or, d’argent, de feu ; dans les endroits tranquilles, la réflexion des fanaux traçait, en s’allongeant dans la mer, de longues colonnes de flammes d’un effet magique. La masse énorme des remparts s’ébauchait dans l’épaisseur de l’ombre.

Pour nous rendre à terre, il fallut nous transborder, nous et nos effets, dans de petites barques dont les patrons, avec des vociférations effroyables, se disputaient les voyageurs et les malles à peu près comme autrefois à Paris les cochers de coucous pour Montmorency ou pour Vincennes. Nous eûmes toutes les peines du monde à ne pas être séparés, mon compagnon et moi, car l’un nous tirait à gauche, l’autre nous tirait à droite avec une énergie peu rassurante, surtout si l’on songe que ces débats se passaient sur des canots que le moindre mouvement faisait osciller comme une escarpolette sous les pieds des lutteurs. Nous arrivâmes pourtant sans encombre sur le quai, et après avoir subi la visite de la douane, nichée sous la porte de la ville, dans l’épaisseur de la muraille, nous allâmes nous loger à la calle de San-Francisco.

Comme vous pensez bien, nous étions levés avec le jour. Entrer de nuit dans une ville inconnue est une des choses qui irritent le plus la curiosité du voyageur ; on fait les plus grands efforts pour démêler à travers l’ombre la configuration des rues, la forme des édifices, la physionomie des rares passans. De cette façon du moins l’effet de surprise est ménagé, et le lendemain la ville vous apparaît subitement dans tout son ensemble comme une décoration de théâtre lorsque le rideau se lève.

Il n’existe pas sur la palette du peintre ou de l’écrivain de couleurs assez claires, de teintes assez lumineuses pour rendre l’impression éclatante que nous fit Cadix dans cette glorieuse matinée. Deux teintes uniques vous saisissaient le regard, — du bleu et du blanc, — mais du bleu aussi vif que la turquoise, le saphir, le cobalt, et tout ce que vous pourrez imaginer de splendide en fait d’azur ; mais du blanc aussi pur que l’argent, le lait, la neige, le marbre et le sucre des îles le mieux cristallisé. Le bleu, c’était le ciel, répété par la mer ; le