Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/513

Cette page a été validée par deux contributeurs.
507
LA PRESSE ET LES ÉLECTIONS ESPAGNOLES.

le bruit s’était répandu que le régent voulait s’emparer du pouvoir absolu, congédier les cortès, supprimer la liberté de la presse, et prolonger la minorité de la reine ; les rédacteurs de tous les journaux non ministériels de Madrid se réunirent et convinrent d’un programme commun. Un manifeste identique fut publié à la tête de chacune des feuilles coalisées ; il était signé de l’Eco del Comercio, l’Heraldo, le Sol, le Corresponsal, le Castellano, le Peninsular, la Postdata, la Guindilla, de deux journaux qui n’existent plus, le Trône et l’Espagnol Indépendant, des deux revues politiques et d’un journal religieux, le Catholique. Il y était dit que la coalition résisterait par tous les moyens à tout acte arbitraire et inconstitutionnel, et que la presse indépendante remplirait son devoir, sans distinction de couleurs, qui était de veiller à la défense des libertés du pays, et en particulier de la plus vitale de toutes, la liberté de la presse.

Dès que cette déclaration fut connue des feuilles publiques des départemens, elles s’empressèrent d’y adhérer.

Depuis lors tous les journaux ont tenu leur parole ; ils ont fait une rude guerre aux projets du gouvernement ou à ses actes, aussi bien l’Heraldo que le Peninsular, le Castellano que l’Eco del Comercio, le Corresponsal que le Sol. De son côté, le pouvoir a fait ce qu’il a pu pour briser ce faisceau d’opposition. Le fiscal, ou procureur du roi, a fait procès sur procès aux journaux de tous les partis ; mais le jury, qui est aux termes de la constitution le seul juge des délits de la presse, a acquitté systématiquement tout le monde. On ne peut se faire une idée de la portée de ces acquittemens qu’en lisant ce qui s’imprime à Madrid ; c’est véritablement incroyable. Jamais la presse française, dans les temps de violence qui suivirent la révolution de 1830, n’a poussé aussi loin l’invective. Le chef de l’état est personnellement en cause tous les jours, il n’y a pas d’épithète outrageuse qu’on ne lui adresse ; les mots de traître et d’assassin reviennent à tout moment. Dix fois on a dit et on a cru qu’Espartero allait monter à cheval et balayer cette foule d’insulteurs publics qui troublent la paix de son triomphe ; mais, soit qu’il ne l’ait pas osé, soit pour toute autre cause, il ne l’a pas encore fait.

Ceci se passait à la fin d’octobre et au commencement de novembre. Peu après, le moment fixé pour la réunion des cortès est arrivé. On se rappelle comment le régent s’était débarrassé au mois de juillet, la canicule aidant, de l’opposition parlementaire. L’année étant près de finir et le budget n’étant voté que jusqu’au 1er  janvier 1843, il a bien fallu convoquer les chambres pour leur demander de nouveaux subsides. Malgré tous les moyens d’intimidation et de corruption, la même opposition s’est reproduite dès l’ouverture, accrue encore par quelques mois d’un silence forcé, et encouragée par le nouvel appui qu’elle trouvait dans la coalition des journaux. M. Olozaga a été réélu président à une forte majorité, et, ce qui est plus significatif encore, M. Cortina a été nommé vice-président. Le gouvernement ne savait plus comment s’y prendre pour éluder encore une fois les injonctions de l’opinion, de la presse et des chambres, quand un évènement fortuit est venu lui offrir