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REVUE LITTÉRAIRE DE L’ALLEMAGNE.

linghausen ; rien, n’en déplaise à M. Gutzkow, qui a voulu transporter sur la scène l’excentrique immoralité de ses romans. Il y a pourtant à Berlin, dans cette ville qui se pose aujourd’hui comme la reine toute puissante, l’arbitre intellectuel et le mobile de l’Allemagne, il y a là un homme qui a fait à lui seul plus de drames et de comédies que Goethe et Schiller. Dans l’espace de vingt ans, M. Raupach a rempli les Taschenbücher allemands et inondé le théâtre royal prussien de ses productions. La Grèce, l’Italie, le monde réel et le monde imaginaire ont tour à tour attiré sa fantaisie, occupé ses loisirs. S’il reste quelque sujet à traiter après lui, ce n’est pas sa faute, il a fait tout ce qui dépendait de lui pour ne pas laisser une situation neuve, une passion intacte à ses successeurs. Le voilà maintenant qui dépèce l’histoire des Hohenstaufen, la découpe en silhouette, la groupe par scènes ; quelques petites inventions çà et là, quelques monologues philosophiques, quelques légers anachronismes, saupoudrés du vernis de l’hexamètre, et toute une grande et chevaleresque époque se dresse sur le théâtre pour l’édification des Allemands. Shakspeare n’est à côté de M. Raupach qu’un petit garçon. Fi de Richard II, de Henri IV, du roi Lear ! Lisez les Hohenstaufen de M. Raupach. Voilà comment on fait revivre une histoire nationale. Le malheur est que l’infatigable dramaturge n’a point les qualités nécessaires pour justifier son étonnante fécondité ; que, de l’aveu même des critiques d’outre-Rhin, les sujets historiques qu’il a choisis sont d’une trop haute taille pour les dimensions de son esprit ; que s’il a réussi parfois, dans ses incessantes tentatives, à revêtir d’un style agréable une situation intéressante, le plus souvent il n’a produit que des scènes communes, languissantes, inanimées, et des pièces fastidieuses. Mme Crelinger, que l’Allemagne proclame à juste titre sa première actrice, Mme Crelinger, condamnée à jouer ces pièces sur le théâtre royal de Berlin, leur a donné quelque peu de vie par la puissance de son jeu ; mais là se bornait la magie de son talent, et M. Raupach, malgré l’énorme quantité de ses drames et de ses comédies, n’a jamais pu jouir d’un instant de vogue générale, d’un succès populaire.

Dans cet état de pénurie, l’Allemagne en est revenue au point où elle était il y a quelque cinquante ans. Alors on traduisait Racine et Molière, Voltaire et Beaumarchais ; maintenant on traduit nos vaudevilles et nos opéras-comiques. La musique d’Auber, d’Halévy, résonne, avec celle de Meyerbeer, dans tous les théâtres, et avec les valses de Strauss sur toutes les places et dans tous les lustgarten de l’Allemagne. De Mannheim à Kœnigsberg, le nom de M. Scribe est imprimé chaque soir en grosses lettres sur les affiches de spectacle, et non-seulement on nous traduit, mais on réimprime à Stuttgard, à Berlin, toutes les pièces de notre nouveau répertoire dramatique depuis les drames de MM. Hugo et Dumas jusqu’aux bouffonneries des Variétés. C’est une autre contrefaçon qui laisse peu de chances de succès à celle de Belgique.

Si de l’œuvre des théâtres nous passons à celle des journaux, voici une autre méthode de plagiat non moins curieuse à observer. À Leipzig, à Berlin, à Stuttgard, des feuilles de pirates qui n’ont à redouter aucun droit de visite,