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sautillans et pétillans, charment l’oreille et ne donnent pas à l’esprit le temps de réfléchir.

Les premières pièces du recueil de Tieck datent de 1793, les dernières de 1840. C’est d’un bout à l’autre un concert de pensers d’amour et de religion, de rêves tendres et mélancoliques, sans une seule satire, sans un seul sentiment de haine et d’envie. Heureux le poète qui, après avoir sillonné pendant quarante ans les difficiles sentiers de la littérature, rassemble un jour les fleurs qu’il a cueillies le long de sa route, et ne trouve pas dans sa gerbe odorante une seule ronce, une plante amère, une épigramme !

Ah ! si l’Allemagne, au lieu de s’abandonner aux vagues et aventureux systèmes qui l’égarent, au lieu de se laisser agiter, dominer, tromper par les vaniteuses et arides ambitions de ses jeunes écrivains, voulait rentrer dans ce domaine de la poésie candide et pieuse, chevaleresque et pure, qui est son vrai domaine, si elle voulait reprendre cette vie d’études et de recueillement dont ses grands maîtres lui ont donné l’exemple, quelle force ne trouverait-elle pas encore en elle-même, et quelles œuvres importantes ne pourrait-elle pas enfanter ! Pour nous, qui lui avons voué une affection que ses erreurs ne pourront effacer, nous accomplissons un devoir rigoureux en prenant les armes contre elle. Il nous en coûte d’avoir à repousser ses agressions quand nous aimerions à la remercier de ses sympathies ; il nous en coûte de la combattre, quand il nous serait si doux de lui tendre la main et de la louer. Mais nous écrivons ces pages sans passion et sans colère systématique. Chaque fois qu’il nous arrivera d’Allemagne un livre remarquable, nous le signalerons avec empressement, et si l’Allemagne voyait poindre enfin, à la place de ces feux follets qui si souvent l’éblouissent et disparaissent, le rayon brillant et durable d’une littérature meilleure, nous voudrions être des premiers à le reconnaître et à le saluer.

Malheureusement, nous regardons en vain à l’horizon. À part un petit nombre d’œuvres sérieusement méditées, nous ne voyons apparaître de côté et d’autre que les fantômes de l’orgueil et les denrées sans nom d’une littérature qui de plus en plus tombe à l’état de fabrique et de négoce. Par une singulière contradiction d’esprit, les Allemands condamnent d’un air superbe les œuvres de nos écrivains que chaque jour ils traduisent et imitent ; ils en ressassent toutes les pages, ils en tirent la substance, ils en vivent, et nous parlent de l’originalité allemande !

Au théâtre, on ne joue plus que de loin en loin les pièces de Goethe, Schiller, Lessing. Depuis la mort des deux grands poètes de Weimar, beaucoup de tentatives ont été faites pour prendre leur place ; beaucoup de jeunes esprits, déployant leurs ailes au sortir du gymnase, se sont crus appelés à régénérer l’art. Qu’est-il résulté de toutes ces présomptions extravagantes, de toutes ces audaces d’écoliers soutenues par des acclamations de coteries ? Rien, à part quelques drames, assez habilement conçus et élégamment écrits, mais longs et froids, de M. Grillparzer, à part la Griseldis de M. Munch Bil-