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Schlegel ont été ses apôtres ardens, Novalis son interprète religieux, Uhland son chantre chevaleresque. Tieck son poète le plus fécond et son conteur.

Tieck a écrit une vingtaine de volumes en prose et en vers, et la plus grande partie de ses œuvres est empruntée aux traditions du moyen-âge. Pour reproduire sous ces différentes faces cette époque si riche et si variée, il a recours à toutes les formes d’art. Il déroule dans de longs drames l’histoire d’Octavien, les infortunes de Geneviève de Brabant, les merveilleuses aventures de Fortunatus. Il raconte, avec la simplicité et la bonne foi des anciens chroniqueurs, la légende des chevaliers amoureux et des chevaliers fidèles, les combats prodigieux des quatre fils Aymond, et les douleurs de la belle Maguelone. Enfin, il descend jusqu’aux contes d’enfans ; il traduit en drames, en comédies, en scènes caustiques et douloureuses, les récits de Perrault : la Barbe bleue, le Chaperon rouge, le Chat botté.

Dans la sympathie profonde que Tieck éprouvait pour le moyen-âge, il ne l’a pas seulement étudié en Allemagne, il l’a cherché en Angleterre, en France, en Espagne, partout où il trouvait dans une tradition populaire, dans un livre d’art ou de science, une manifestation originale du génie de cette époque. Il s’est passionné pour Calderon et Cervantes, pour les mystères et les fabliaux. Du récit poétique il a passé à la critique ; il a publié sur le théâtre anglais antérieur à Shakspeare une œuvre excellente, pleine de faits curieux pris à leur source même, et d’observations ingénieuses et neuves. Dans son Phantasus, il a mêlé habilement la dissertation philosophique à la nouvelle romanesque. C’est une espèce de Décaméron sérieux où les gracieuses et coquettes figures de Boccace sont remplacées par de blondes Allemandes au regard mélancolique, où chacun des interlocuteurs a une forme de sentiment à soutenir, une pensée d’art à exprimer, où chaque conte devient le sujet d’une intéressante dissertation.

Toute cette longue étude du moyen-âge n’a pas été pour Tieck une tâche systématique entreprise dans le but de se faire un nom et de se donner, aux yeux de ses compatriotes, un caractère d’originalité en s’éloignant de la voie commune pour prendre une route abandonnée. C’est une œuvre de choix et de prédilection qu’il a commencée avec ardeur et poursuivie avec une rare persévérance. Il aime les naïves légendes, les productions tendres et religieuses, les mœurs chevaleresques du moyen-âge pour elles-mêmes, et non point pour la gloire qu’il peut obtenir en les faisant revivre. Il a l’esprit et le cœur tout imprégnés de cette époque, il la dépeint avec charme dans ses livres et ses entretiens. Je n’oublierai jamais le jour où j’allais d’une main timide frapper à sa porte, le jour où il m’accueillait, pèlerin obscur, dans sa demeure de poète, toute pleine de bons livres, ornée d’anciennes gravures et de quelques tableaux. À le voir alors au milieu des siens, avec sa belle et noble physionomie, son sourire mélancolique tempéré par une légère finesse, ses grands yeux bleus profonds et méditatifs, j’éprouvais je ne sais quelle sympathie pleine de respect. J’écoutais en silence chacun de ses récits, et, lorsqu’après l’avoir quitté, j’allais, à quelques pas de sa retraite, errer sur les bords de