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tant d’une des nuances les plus délicates et les plus attrayantes du vrai génie de l’Allemagne.

Le peuple allemand a, dans son caractère même, les élémens essentiels de la poésie. Il est rêveur, superstitieux, tendre et ardent. Au fond de son cœur, il conserve avec un sentiment pieux les traditions historiques et les traditions religieuses. Il aime la vie de famille et les scènes de la nature, les épanchemens affectueux et les vagues caprices de la pensée, qui, par une belle matinée de printemps, s’enfuit comme l’oiseau à travers les vallées odorantes et les forêts mystérieuses. Tout ce qui offre à ses yeux une apparence idéale exerce sur lui un grand prestige, et tout ce qui est naïf charme son imagination. Une des occupations favorites de l’Allemagne était encore récemment de recueillir les légendes de châteaux et de monastères, les histoires de sorcellerie et de mythologie populaire conservées dans les manuscrits des bibliothèques ou dans la mémoire des paysans. Jacob Grimm, le savant philologue, n’a pas cru déroger à sa haute réputation en publiant un recueil de contes pour les enfans[1], et la moitié des œuvres des poètes modernes est employée à la reproduction des naïfs récits du moyen-âge. Mais ce n’est pas seulement dans les œuvres d’art et de poésie qu’il faut chercher le reflet du caractère poétique des Allemands ; c’est dans leur existence même, dans leurs mœurs, dans leurs habitudes journalières et leurs loisirs du dimanche. Pendant long-temps, les productions littéraires de l’Allemagne n’ont été que l’expression d’une société bien restreinte, d’une coterie de gentilshommes ou de pédans fardée et mignarde, revêtue d’oripeaux étrangers et dénaturée par le mauvais goût. Ceux qui voudraient juger de la nature poétique du peuple allemand d’après les livres les plus célèbres de cette époque tomberaient dans une grave erreur, car le peuple n’était pour rien dans cette littérature d’école et cette poésie de château.

C’était après la guerre de trente ans. L’Allemagne, épuisée, accablée par cette lutte désastreuse, abdiqua pour ainsi dire son sentiment de nationalité littéraire, et se mit patiemment à marcher à la suite des écrivains étrangers. Le présent ne pouvait éveiller en elle qu’une pensée d’humiliation ; le moyen-âge faisait pitié à ses savans : elle se tourna vers l’antiquité ; mais la France était là, qui prétendait reproduire dans ses bergeries et ses drames, dans les entretiens de l’hôtel de Rambouillet et les romans de Mlle de Scudéry, la quintessence de l’antiquité, et L’Allemagne n’alla pas plus loin. Elle copia nos Catons galans et nos Brutus damerets, elle eut ses Lucrèces langoureuses, ses héros en perruques, ses Tircis soupirant au pied des hêtres, et ses Chloés suivies d’un charmant troupeau. Le labeur mythologique étouffa l’inspiration ; les termes de convention remplacèrent le trait senti et naturel. Au lieu de se laisser aller, comme les Minnesingers, aux douces et naïves rêveries, de peindre avec abandon l’image qui frappait leurs regards et l’émotion qui agitait leurs cœurs, les poètes allemands des XVIIe et XVIIIe siècles s’occupaient tout sim-

  1. Kinder und Haus Mœrchen.