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rempli d’ardentes pensées et de nombreux désirs. Où ira-t-il ? que verra-t-il pour commencer l’immense série de ses explorations ? Ah ! d’abord, s’écrie le grave allemand, Véry, Véfour, Musard ! puis les ministres, la chambre des députés et la chambre des pairs. C’est que M. Gutzkow n’est pas un observateur comme un autre. Ce qui attire le plus notre attention, à nous pauvres esclaves de la routine, est précisément ce dont il se soucie le moins. Un cheval de fiacre arrêté sur le boulevard l’occupe plus, dit-il, que l’hôtel des Capucines, où M. Guizot donne ses dîners, et le pavage en bois de la rue Richelieu lui inspire de profondes réflexions. Vous qui regardez innocemment ces blocs octogones, vous vous figurez peut-être qu’ils n’ont été mis là, à la place des pavés de grès, que pour la commodité des voitures et des piétons ? Pas du tout ; c’est pour empêcher les Parisiens de faire de nouvelles barricades et une nouvelle révolution. C’est encore une diabolique invention de notre gouvernement, à laquelle nous n’avions pas pris garde jusqu’à ce jour, et que M. Gutzkow a eu seul la perspicacité de comprendre. Si M. Gutzkow avait su que la plupart des rues de Pétersbourg et de Moscou sont également pavées en bois, que n’aurait-il pas dit ! Sans doute il aurait accusé le gouvernement représentatif de la France de profiter des leçons de la Russie, de se rendre complice des mesures liberticides du despotisme !

Cette première découverte doit faire pressentir tout ce qu’il y a d’aperçus ingénieux et de merveilleuses révélations dans le livre de M. Gutzkow. Nous ne suivrons pas ce profond observateur dans le cours incessant de ses visites et de ses pérégrinations. Il faudrait des volumes entiers pour commenter dignement les singuliers traits d’esprit qu’il sème dans ses petits livres. Que n’a-t-il pas vu pendant le peu de temps qu’il a employé à connaître Paris ! Il a vu M. J. Janin, et il affirme que le talent de l’auteur de l’Âne mort baisse de jour en jour, et que le critique ne conserve sa place aux Débats que par ses complaisances pour les propriétaires de ce journal. Il a vu quelques-unes de nos célébrités parlementaires et de nos hommes politiques. « Un jour, dit-il, un jeune professeur français, aujourd’hui conseiller d’état, arriva à Berlin dans le but d’apprendre l’allemand, et je lui donnai des leçons. Je lui expliquai l’Allemagne, et il m’expliqua la France. » La gasconnade hambourgeoise dépasse celle des bords de la Garonne. Le professeur dont il est ici question a trop d’esprit et de bon goût pour se faire expliquer l’Allemagne par un homme tel que M. Gutzkow, et s’il a jamais daigné parler de la France au pamphlétaire allemand, M. Gutzkow a certainement bien mal profité de son honorable entretien.

Quoi qu’il en soit de cette fatuité, M. Gutzkow vient réclamer l’appui de son prétendu disciple, et se présente sous son patronage en divers lieux. Il a été conduit chez M. Guizot, qui, après lui avoir d’abord exprimé ses vives sympathies pour l’Allemagne, a voulu le revoir une seconde fois, l’a invité à déjeuner, et lui a expliqué tout son système politique et toute la nullité du système de ses adversaires. M. Gutzkow, profondément touché d’un tel témoignage de confiance, et sans doute charmé aussi du déjeuner, n’a pas assez