mauvaises passions dont ses écrivains nous dotent si généreusement ? On a beaucoup parlé de l’animosité que l’Allemagne manifesta contre nous en 1840 ; eh bien ! j’ose l’affirmer, cette animosité était en grande partie le résultat de ces infidèles correspondances. L’Allemagne, unie à nous par tant de rapports d’intérêts matériels et de sympathies morales, par une longue communauté de travaux intellectuels, l’Allemagne ne pouvait en un jour briser tant de liens fraternels et s’éveiller un beau matin le cœur rempli de haine pour ceux qu’elle regardait la veille avec confiance et affection. Mais ses correspondans ne l’entretenaient que de nos dispositions hostiles et de nos projets sanguinaires. Leurs articles injurieux provoquaient nécessairement de notre part une réponse qui, torturée à plaisir, éveillait de l’autre côté du Rhin de nouvelles susceptibilités et enfantait de nouvelles récriminations. Toute cette fameuse guerre de 1840 n’a été après tout qu’une guerre de journaux. En France, où les idées se succèdent si rapidement, elle a cessé ; en Allemagne, elle dure encore. L’Allemagne a pris en main la plume d’oie et mis son cœur dans une bouteille d’encre. L’hostilité de 1840 sert de texte à mainte dissertation prétendue nationale, elle alimente les faiseurs de brochures et de gazettes qui avaient grand besoin d’un nouveau thème, et qui se garderont bien de lâcher celui-ci avant de l’avoir retourné en tout sens et épuisé jusqu’à la dernière ligne. Elle figure dans le catalogue de Leipzig sous une légion d’opuscules qui doivent, comme de vaillans soldats, défendre la patrie, et qui mourront obscurément dans les magasins des libraires où ils ont pris leurs quartiers. Elle éclate même dans les livres qui ont la prétention d’être sérieux. Je trouve dans un récent ouvrage de M. de Raumer, l’Angleterre en 1841, un passage où l’auteur juge de son autorité privée avec une incroyable assurance la lutte diplomatique de 1840, et d’un tour de main écrase la France, élève l’Angleterre, donne à lord Palmerston la sagesse des philosophes, la majesté des rois, la splendeur du génie, puis accable M. Thiers sous le poids d’une phrase doctorale. M. de Raumer a le malheur d’écrire beaucoup et de conserver un pieux respect pour tout ce qu’il écrit. C’est le Capefigue de l’Allemagne, et un romancier spirituel l’a représenté tournant de la main gauche les feuillets d’un in-folio, et remplissant de la main droite ceux d’un in-8o avec tant de prestesse et d’habileté, que, quand il arrive à la dernière page du livre qu’il compulse, la dernière page du volume qu’il rédige est toute prête à être envoyée à l’imprimerie. Nous n’avons point à nous occuper de toutes ces compilations plus ou moins sérieuses ; mais que dire de la légèreté avec laquelle ce grave professeur d’histoire à l’une des plus grandes universités d’Allemagne parle d’un événement dont l’Europe entière connaît aujourd’hui tous les détails ?
Un autre écrivain, après avoir inséré dans le Phénix et dans quelques autres journaux, dont il s’était fait le rédacteur, ces précieux articles datés de Paris, veut à son tour jouir des honneurs de la correspondance. Il arrive en France, y passe quelques semaines, et publie deux volumes, deux petits volumes il est vrai, qui, par l’exiguité de leurs dimensions, font un singu-