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terminé. La pensée cherche à franchir le cercle fatal que la logique a tracé autour d’elle ; elle n’y réussit pas, elle demeure dans la forêt enchantée sans pouvoir trouver d’issue. L’école de Hégel se débande, il est vrai ; la droite et la gauche, plus hostiles que jamais, se renient mutuellement. Valke, l’ornement de la gauche par son noble caractère et par son talent élevé, semble hésiter. On dit qu’il est près de passer à la théologie, pour trouver enfin une vérité positive. Mais aucun des systèmes opposés à Hégel n’a mérité l’assentiment public, et ne paraît avoir un durable avenir. Toutes ces philosophies diverses, si hautaines dans leurs prétentions, si chétives dans leurs résultats, impuissantes à rien fonder, ne sont habiles qu’à s’entredétruire. Il ne reste de tout ce labeur de l’intelligence qu’une critique insatiable qui n’épargne rien ; ce nouveau déluge monte, grossit, s’étend, et menace déjà de son flot amer les hauts refuges cherchés contre lui.

Une crise pareille travaille le monde entier. Partout, chez les peuples européens, c’est un même ébranlement de croyances, une même angoisse des ames, un même désordre des esprits. Un doute dont on voudrait en vain se dissimuler la puissance nous obsède. Dans les temples, il murmure ses paroles à la multitude agenouillée, il trouble le prêtre devant l’autel. Dans le sanctuaire de la conscience, il nous attend encore, et nous propose l’utile à la place du juste, le bien-être au lieu du devoir. L’hôte funeste nous suit jusqu’auprès du foyer domestique, et là il argumente contre la famille et la propriété. Tout est mis en question, tout devient précaire, tout semble menacé. Le vieil Orient aussi est atteint du même mal, il s’étonne de ne plus croire, il se défie de ses dieux, qui ne le protégent pas contre nous. Pour la première fois, le scepticisme répand ses ombres sur toute la face de la terre, et, dans cette obscurité, la tristesse, la crainte et l’ennui nous prennent. Ce ne sera pas un logicien qui terminera ces vastes incertitudes. Ce ne sont pas ici jeux et difficultés d’école, mais cruelles et profondes perplexités. De grands évènemens les ont fait naître, de grands évènemens pourront seuls y mettre un terme.

A. Lèbre.