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les vôtres ? — Vous le satisfaites. À chaque pause de votre commentaire, il s’écrie : — Oui ? Puis il continue dans son idiome : — Je devine (je présume) que vous n’allez pas plus vite en Angleterre ? — Pardon ; répondez-vous. — Oui ? Réplique-t-il, et il se tait poliment, persuadé que vous mentez. Il mord pendant dix minutes la pomme de sa canne, et s’adressant à cette pomme autant qu’à vous : — Les yankee sont comptés (regardés comme) un peuple qui va de l’avant, et ferme ! (Aller de l’avant, going ahead, est, en Amérique, la plus grande marque de civilisation possible.) Vous ne pouvez vous empêcher de répondre — Oui ? — et l’Américain répète affirmativement et de la façon la plus vigoureusement appuyée : — Oui ! »

Ce sont là de fort petits détails, mais qui font bien connaître le caractère d’un peuple. Je les préfère, quant à moi, aux dissertations savantes. C’est par ces circonstances familières et intimes que se trahissent les vrais penchans d’une nation trop jeune encore et trop puissante déjà, trop incomplète et trop riche, pour échapper aux susceptibilités, aux faiblesses, à la morgue, aux niaiseries des parvenus. Devant tous les voyageurs, les Américains se replient avec cette espèce de sensibilité souffrante et nerveuse qui ne développe pas sous son jour le plus favorable le caractère national ; n’apercevant plus que ce côté mauvais et timide, miss Martineau disserte, Basil Hall bavarde, Dickens plaisante, et Marryatt se met en colère. Dans l’histoire littéraire, on a trop rarement observé les passions de l’écrivain ; c’est cependant là le mobile, le vent qui souffle dans la voile et qui conduit le bateau. Les rancunes des Anglais les aveuglent trop souvent quand ils s’occupent de l’Amérique. Ils choisissent ses plus mauvais aspects et nous les présentent ; mais que ne peut-on pas dire de ce pays qui contient tout, qui se fait de toutes pièces, qui change toujours, qui s’étend de tous côtés, qui n’a de limites naturelles que les deux mers, qui ne sait pas lui-même ce qu’il est, ce qu’il peut, ce qu’il doit, ce qu’il sera, qui n’a ni passé, ni présent, mais un avenir sans bornes ! Vous peindrez sous les couleurs les plus diverses la vie des squatters qui luttent avec le désert, celle des fanatiques qui dansent en hurlant dans les bois et celle des marchands qui traversent les états de l’Union, comme les étoiles filent au ciel. Toutes ces descriptions isolées seront inexactes ; réunissez et groupez-les ; elles vous donneront une idée juste de la démocratie américaine, de cet embryon gigantesque, de ces molécules errantes encore, mais qui plus tard formeront un ensemble colossal.

Quand on réfléchit sur ces résultats obtenus par les voyageurs, on