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de la voiture sur la grande route, et de la grande route dans la salle à manger. »


On n’aurait pas attendu d’une république cet affaiblissement du caractère individuel, cette crainte de blesser qui que ce soit, cette apathie de la conversation, cet assentiment perpétuel et insignifiant qui rend la société aux États-Unis si tiède et si fatigante. On est doux, on est hospitalier, on se dissimule, on se gêne, on cède son droit au droit de tous. On perd ainsi, avec l’âpreté et les saillies aiguës du caractère naturel, la naïveté sauvage, l’originalité et la variété piquante qui résulte des contrastes. Miss Martineau, qui ne cesse d’exalter sa république chérie, avoue cependant que les Américains passent leur vie à se flatter mutuellement, et le dégoût que lui inspire cette adulation de tous envers tous lui dicte une comparaison hardie pour une dame anglaise : « J’en suis plus révoltée, dit-elle, que de cette coutume immonde de fumer et de cracher partout, qui laisse des traces dans les salons, dans les boudoirs et dans la chambre des députés. » Dans l’intérieur des familles, le père flatte le fils et le fils flatte le père. À ce défaut de sincérité vient bientôt se joindre un mépris général pour les vertus et les éloges que l’on accorde à tous sans y regarder de près. Un misérable chargé de banqueroutes frauduleuses et soupçonné de faux vient-il à mourir, son éloge funèbre retentit dans toutes les églises. Un méchant livre paraît-il, les journaux débordent de panégyriques. L’orateur flatte le peuple, le peuple flatte l’orateur. Les ecclésiastiques louent leurs ouailles, et les ouailles restent éblouies en face de la supériorité de l’ecclésiastique ; les professeurs admirent leurs élèves, et les élèves grandissent démesurément le mérite de leurs professeurs. Tout cela est puéril, vulgaire, et, ce qui est pis, égoïste. Chacun, dans ce pays de liberté, se fait, de l’éloge qu’il prodigue, une monnaie avec laquelle il achète d’avance l’éloge d’autrui. On jette au nez d’un égal qui pourrait nuire un mensonge d’admiration auquel répond un autre mensonge.

Ce n’est pas seulement l’Anglaise miss Martineau, ni l’officier de marine Marryatt, qui accusent l’Amérique républicaine de ce défaut misérable de sincérité et de liberté. Il a paru à Boston, en 1835, un petit volume intitulé : Pensées sérieuses sur l’époque actuelle ; nous lui empruntons le passage suivant : « Sans cesse la vanité folle de nos journaux répète que nous sommes le peuple libre par excellence,