Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/46

Cette page a été validée par deux contributeurs.
40
REVUE DES DEUX MONDES.

exclusivement logique ne pouvait être chrétienne ; avec elle, on ne conçoit ni la personnalité de Dieu, ni une libre création : l’illusion, à cet égard, est désormais impossible ; on le doit à M. Schelling. Il ne confond point le christianisme avec les mythologies : Jésus-Christ ne devient plus seulement le symbole de l’humanité, il demeure le Verbe incarné que l’église adore.

M. Schelling est jusque-là d’accord avec le christianisme ; voici les différences. Le christianisme, d’après M. Schelling, se distingue des mythologies sans les contredire. Il n’est point sur un autre chemin ; les mythologies fraient la route vers lui ; sans elles, il n’aurait pu s’accomplir ; elles le préparent ; elles en sont pour ainsi dire les propylées. Évidemment, ce n’est pas là ce que pense le christianisme. L’idolâtrie et le péché sont pour lui même chose ; il n’excuse d’aucune manière les mythologies ; il s’oppose au culte des idoles comme le bien au mal ; ce culte n’a point ramené vers Dieu ; il n’a fait qu’égarer loin de lui. M. Schelling n’est pas plus orthodoxe dans ses vues sur le judaïsme. À vrai dire, on ne sait guère à quoi demeure bon un peuple élu, une fois que les mythologies préparent et annoncent le christianisme, et M. Schelling se montre fort embarrassé de ce qu’il en doit faire.

Arrivé au christianisme, il n’en donne qu’une explication ontologique et néglige l’explication morale : c’est le dénaturer. Il éclaire le mystère des deux essences unies dans le Verbe incarné, plutôt que celui de l’expiation. L’évènement moral est ici le grand évènement, celui qu’il faut avant tout expliquer ; les autres en dépendent, et, sans lui, on ne les comprend pas. Le christianisme ordonne majestueusement, d’après cette pensée, ce qu’il raconte de Dieu et de l’homme, du ciel et de la terre, du temps et de l’éternité. Il ne connaît que deux peuples, l’église et le monde ; qu’une guerre, celle du bien et du mal. L’usage que les créatures font de leur volonté pour se donner ou se refuser à Dieu décide de toutes leurs destinées. Cette philosophie, la plus simple et la plus pratique, la plus auguste et la plus vraie, est celle de l’Évangile. Aussi l’Évangile adresse-t-il toutes ses paroles à la conscience. Il ne serait plus lui-même, il ne ferait plus son œuvre, ses histoires si suaves d’onction perdraient leur vertu sur les ames, dès que le sens suprême des récits divins serait un autre que la clémence et l’amour. Dans le système de M. Schelling, Jésus-Christ est plutôt le démiurge que le rédempteur. À ce titre, il aurait pu faire des miracles sur la nature ; il n’aurait pas changé les volontés ni guéri les cœurs ; c’est là pourtant son pre-