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VOYAGEURS AUX ÉTATS-UNIS.

se fut rendu, il trouva dans l’antichambre du vainqueur, auquel il faisait sa visite, ce nègre traître qui nettoyait les bottes du marquis. — « Bah ! s’écria le général anglais ! C’est vous, Harry !… Je n’aurais pas cru vous trouver ici ! — Il faut bien, répondit l’espion, faire quelque petite chose pour sa patrie ! » Ce nègre perfide, qui n’avait d’autre patrie que la bourse des deux adversaires, et d’autre patriotisme que sa cupidité honteuse, a probablement servi de modèle au héros du roman de Cooper, the Spy. Il avait, toute sa vie, travaillé au succès des hommes qui devaient soumettre les enfans de l’Afrique à la plus humiliante, à la plus cruelle des servitudes. Une comédie plaisante, c’est de voir l’admiration de Cooper pour cette réponse et pour ce nègre.

Malgré tant d’enfantillages, la lecture des huit ou dix voyageurs américains qui ont visité l’Europe est assez piquante pour un Français. Le ridicule de nos prétentions, le caractère illogique de nos habitudes et de nos mœurs, ne leur échappent guère. En général, les étrangers sont très bons à consulter ; ils sont frappés des particularités que nous ne remarquons pas. Cooper lui-même a très bien observé que la France est aujourd’hui livrée à un mélange dangereux de faits qui résultent du despotisme ancien et de lois ou de désirs qui appartiennent à la démocratie. Centralisez, c’est-à-dire despotisez, voilà ce que dit Napoléon après Louis XIV. Individualisez et éparpillez, voilà ce que dit la liberté des journaux, et ce que répètent les livres. Absurde mélange de la lumière et de l’ombre, du oui ou du non, des termes les plus contradictoires. C’est le vrai mal de la France. Un gouvernement constitutionnel n’est pas la juxta-position des contraires, mais la lutte féconde des intérêts dont chacun cède un peu pour gagner davantage. En France, les habitudes sont nées de l’extrême asservissement ; les tendances s’élancent vers l’extrême affranchissement. Jugez de quelles douleurs la nation doit être assaillie.

Notre monde vieilli, qui cherche à se rajeunir, se rapproche nécessairement, par l’intention du moins, de ce monde jeune et à peine formé, qui voudrait se donner pour accompli. La France de Mirabeau et de Voltaire se retrouve dans la république nouvelle, sortie des mains de Locke et de Washington ; il y a plus d’une analogie entre nous et les États-Unis. Nous coïncidons en plusieurs points avec cette création étrange née du puritanisme anglais, œuf démocratique venu au monde au XVIIe siècle et couvé au XVIIIe par la philosophie voltairienne. Il faut lire les soixante voyageurs dont je n’ai cité plus haut