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CRISE DE LA PHILOSOPHIE ALLEMANDE.

motivé n’est pas plus concevable. Dieu se détermine infailliblement pour le meilleur parti ; impossible qu’il en prenne un autre, impossible même qu’un autre se présente à lui et le sollicite. Il n’y a donc jamais pour lui d’alternative et de choix. Un choix d’ailleurs suppose une exclusion, et ne se conçoit que chez un être fini. Un choix suppose une époque, et ne se conçoit que dans le temps. On ne peut le comprendre dans l’être éternel et infini. Cet être n’a qu’une volonté unique, permanente, toujours la même. Nous sommes encore ici dans l’ordre de la volonté, toutefois aussi dans l’ordre éternel. Or, ce qui est éternel, immuable, nous apparaît comme nécessaire : la liberté, en Dieu, se transforme donc en nécessité ; mais la nécessité, en Dieu, ne lui est imposée que par lui-même, elle est donc absolue liberté. En Dieu, la liberté et la nécessité ne sont plus contradictoires, elles sont inséparablement unies et parfaitement adéquates.

M. Schelling n’établit pas de différence entre la liberté de Dieu et celle de l’homme, et parle toujours de la première comme d’un choix. Il en fait ainsi moins une liberté qu’un arbitraire. On peut malheureusement aussi bien lui reprocher le fatalisme. L’homme est, après la chute, soumis au mouvement mythologique et ne peut pas s’y soustraire : il n’est plus libre. Le redevient-il avec le christianisme ? Nullement. L’esprit humain se développe dès-lors dans la philosophie, comme autrefois dans la mythologie, sous l’empire d’une loi inflexible. Les systèmes se succèdent par une raison nécessaire, et chacun apporte avec lui une morale différente. Le bien et le mal varient sans cesse, ou, mieux, il n’y a ni bien ni mal, tout a raison d’être en son temps. Plus de règle éternelle du juste, et par conséquent plus de conscience, plus de responsabilité. La liberté n’a donc pu se trouver que dans l’acte de la chute. Ici j’ai des doutes. Il me semble que M. Schelling croit tout développement de l’humanité impossible sans la chute ; dans ce cas, elle est un bien, elle cesse d’être une chute, elle devient nécessaire : Dieu lui-même a dû la vouloir et l’ordonner. Quoi qu’il en soit de ce point que je n’ose résoudre, le fatalisme pèse sur tout le reste de l’histoire, et sommes-nous bien loin avec lui des conséquences morales du panthéisme ? Baader disait à ce propos que la nouvelle philosophie de M. Schelling était une belle pénitente qui se souvenait encore avec trop de douceur de sa faute passée.

M. Schelling croit avoir jeté les bases d’une philosophie chrétienne et pacifié enfin la foi et la science, depuis si long-temps ennemies. Voyons s’il y a réussi. M. Schelling a démontré qu’une philosophie