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immédiatement avant Hégel, qui redonna à la science la rigueur qu’elle avait perdue. Sa philosophie a des erreurs, on la dépassera sûrement. Mais les systèmes ne se succèdent pas au hasard. La liberté humaine est ici, comme dans toute notre œuvre, associée à une nécessité divine. Il n’est point de philosophies inutiles et que l’on doive absolument renier : chacune, appelée par celles qui la précèdent, prépare celles qui la suivent ; toutes ont quelque vérité à transmettre. L’homme, en avançant sur sa route, n’oublie et ne perd que ses erreurs. Or, dans le système de Hégel, la logique est la plus importante et la plus belle découverte. M. Schelling devait donc la recevoir ou tout au moins la réfuter. Il n’en a rien fait ; il semble presque vouloir l’effacer des esprits par son silence, ou, s’il parle de Hégel, c’est avec un langage plus pompeux que noble. M. Schelling ici ne sait pas être juste, il ne traite qu’avec dédain cette puissante philosophie qui pèse sur l’Allemagne. À l’entendre, on dirait une superfluité, une plante parasite venue on ne sait pourquoi. Il appelle à un progrès nouveau, et la première condition qu’il impose est de rebrousser quarante années en arrière ; il ne veut rien accepter de son rival. M. Schelling s’est rendu par là un funeste service. Il rejette sans forme de procès la logique de Hégel. C’est refuser de satisfaire à l’une des exigences intellectuelles de l’époque. C’est s’interdire le succès, car on ne quittera Hégel que pour une philosophie qui respectera tout ce qu’il a de vrai et saura se l’assimiler. C’est retourner aux conjectures précaires que l’on hasardait avant le grand logicien, et elles sont aujourd’hui justement discréditées.

Ce défaut de rigueur se remarque partout. L’idée de la liberté est l’idée capitale du système ; elle en fait l’originalité : c’est elle qui le distingue de toutes les philosophies précédentes. Il importait assurément de la bien déterminer ; elle demeure pourtant toujours indécise et obscure. La liberté est un fait très divers et très complexe ; elle n’est pas en Dieu ce qu’elle est en l’homme ; elle n’est pas en l’homme toujours la même. Le christianisme du moins le pense ainsi. La vraie liberté, d’après lui, est celle d’une volonté immuablement sainte, car le mal est l’esclavage : le libre arbitre est donc moins la liberté que le choix entre elle et la servitude, il n’est donné à l’homme que pour le temps de son épreuve, et pour l’introduire à une liberté meilleure.

Quoi qu’il en soit de l’homme, la liberté, en Dieu, n’est pas le libre arbitre. Sa volonté n’hésite pas entre un oui et un non, un choix sans motif serait indigne de celui qui est la raison suprême. Un choix