Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/437

Cette page a été validée par deux contributeurs.
431
DISCOURS PARLEMENTAIRES.

dans le Haut-Rhin. M. Pasquier était donc seul pour défendre les projets les plus importans présentés par le cabinet, car la parole de M. Simon, alors ministre de l’intérieur, était un médiocre secours. La gravité particulière de la situation inspira à M. Pasquier un langage plus ferme que celui qu’il apportait d’ordinaire à la tribune. Elle lui souffla même une certaine audace. Il ne craignit pas d’avouer qu’il demandait l’arbitraire, en ajoutant toutefois qu’il le demandait à des Français libres[1]. Cette franchise souleva contre le ministre les plus violens orages, et il fut personnellement pris à partie à la tribune par les orateurs de la gauche : on attaqua son passé ; on y chercha les causes de ce goût pour l’arbitraire qui ne craignait pas de s’afficher. Les agressions furent si passionnées, que M. Pasquier crut devoir défendre à la tribune les commencemens de sa vie politique. « Entré dans les rangs du conseil d’état en 1806, dit-il, je me suis vu appelé assez promptement, et contre toute attente, à des fonctions importantes, mais délicates et fort pénibles… Ma conscience me rend ce témoignage que les momens les plus doux, dans cette période de ma carrière politique, ont été ceux où il m’a été donné d’adoucir, par tous les moyens en ma puissance, les rigoureuses dispositions de la législation que je devais mettre en pratique… Mes principes n’ont pas changé, et dans toutes les situations que j’ai parcourues depuis 1814, j’ai constamment repoussé les exagérations des divers partis[2]. » Pendant que M. Pasquier combattait ainsi sur la brèche, les royalistes travaillaient à l’évincer du ministère : MM. de Villèle et Corbière souriaient sur leurs bancs de ses efforts pour fortifier un pouvoir dont ils allaient bientôt s’emparer.

À cette époque, il fut dans la destinée de M. Pasquier non-seulement d’être attaqué par les libéraux et les royalistes, mais encore d’être combattu par les hommes politiques qui commençaient alors à se créer une autorité sous le nom de doctrinaires. Ces derniers avaient fait leur choix ; ils s’étaient séparés du pouvoir et avaient pris place dans les rangs de l’opposition. Tant que le gouvernement de Louis XVIII ne fut pas débordé par la puissance croissante des royalistes, ils l’avaient servi : la défense du pouvoir royal leur avait paru à la fois un devoir, une nécessité, une position forte. Mais il arriva un moment où, quelle que fût leur bonne volonté, cette position n’était plus tenable. L’invasion des principes et des passions du

  1. Discours, t. II, p. 100.
  2. Ibid., t. II, p. 106-107.