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Pour couper court aux conséquences, il faut donc supprimer le principe. Les colonies australes ne remonteront au niveau des sociétés civilisées que lorsqu’elles cesseront de servir d’égout aux prisons de la métropole. L’esclavage pénal est le signe de leur origine, tache qui ne s’effacera, et lentement encore, que si elle n’est pas renouvelée. Quant à faire autre chose que ce que l’Angleterre a fait en fondant ses colonies pénales, il y aurait de la présomption à y songer. Si l’Angleterre n’a pas réussi, étant maîtresse de la mer, ayant une grande navigation, le commerce le plus étendu, des capitaux considérables, un indomptable esprit d’entreprise, l’habitude de l’ordre, et le courage de la persévérance jusqu’à tomber dans l’opiniâtreté, quelle nation pourrait concevoir raisonnablement l’espoir du succès ?

Soit que l’on se propose de fonder une colonie, soit qu’on envisage plutôt la possibilité de réformer les coupables que les lois ont frappés, la déportation est le plus mauvais de tous les systèmes. Il a désormais l’expérience autant que les principes contre lui. Si l’on ne veut qu’établir un bagne, il est puéril de traverser les mers et de transporter des condamnés à six mille lieues. Si l’on veut défricher et peupler de nouveaux territoires, il faut se rappeler que l’œuvre de la colonisation est peut-être celle qui exige le plus de liberté. Il ne faut pas charger de chaînes les mains qui doivent dompter la nature sauvage ; c’est d’ailleurs se poser un problème insoluble que de former le noyau d’une colonie au moyen d’une population dont la moitié devra perpétuellement observer, garder et contenir l’autre moitié.

Et de quel droit encore une nation verserait-elle sur un territoire étranger l’écume de ses grandes villes ? Est-ce bien aux malfaiteurs qui encombrent nos prisons que nous devons confier la mission de communiquer aux peuples non civilisés les lumières de notre état social ? Les sauvages de l’Australie, s’ils avaient su exprimer leurs griefs dans la langue de leurs conquérans, n’auraient-ils pas eu le droit d’élever les mêmes plaintes que Franklin, au nom des planteurs américains, porta quelques années plus tôt devant le parlement anglais ?

Toute civilisation a ses plaies. Un peuple entretient des prisons comme il défraie des hôpitaux. La répression des délits n’est pas un devoir moins étroit que le soulagement des misères, et il n’est pas plus permis d’empoisonner un peuple voisin ou éloigné, civilisé ou barbare, des émanations méphytiques de nos bagnes, que de lui