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LES COLONIES PÉNALES DE L’ANGLETERRE.

vérité sous une autre forme, quand il disait, quelques années plus tard : « Je ne connais que deux classes dans la colonie, ceux qui ont déjà subi une condamnation et ceux qui méritent d’en subir une. »

La corruption et la licence des mœurs devaient rendre l’exercice de l’autorité difficile ; peu de colonies présentent dans leur histoire l’exemple d’un pareil relâchement. Dès les premières années, le contact de tant de malfaiteurs avait dégradé et perverti leurs gardiens ; presque tous les condamnés avaient les soldats pour complices dans leurs vols ou dans leurs évasions. Bientôt la démoralisation gagna les officiers, qui vivaient en concubinage avec les femmes déportées, et qui, à la faveur d’une position privilégiée, avaient monopolisé dans leurs mains le commerce du rhum. Dans une société qui n’eut pas de temple ni de Dieu pendant plus de dix ans, l’ivrognerie régnait en souveraine, et les meneurs de cette orgie permanente étaient les propres agens du pouvoir. Malheur qui les troublait dans leurs désordres ! Le gouverneur King, qui avait manifesté des pensées de réforme, se vit plusieurs fois à la veille d’être arrêté et déposé par ses subordonnés. Bligh, qui lui succéda, fut beaucoup moins heureux, et le chef de la révolte, le major Johnson, ayant déposé son supérieur, usurpa, pendant près de deux ans, au grand étonnement de l’Angleterre, des fonctions qu’il ne tenait pas du gouvernement central.

La colonie pénale d’Hobart-Town, dans la terre de Van-Diemen, fondée quinze ans plus tard que celle de Sydney et mieux réglée dès l’origine, parcourut cependant les mêmes vicissitudes et offrit le spectacle des mêmes excès. L’ivrognerie, la prostitution et le vol formèrent également les traits saillans de cette société, où le rhum était aussi la monnaie d’échange, où la ruse et la violence se donnaient carrière, où les faussaires n’étaient pas moins communs que les voleurs de grand chemin, et où l’autorité n’avait d’autre moyen d’action que la potence et le fouet.

La terre de Van-Diemen eut encore plus à souffrir que la Nouvelle-Galles du sud d’un système de brigandages qui est connu sous le nom de maraudage des bois ou des buissons (bush-ranging). Les condamnés qui étaient mécontens de leur sort se réfugiaient dans les bois, d’où ils dirigeaient de véritables expéditions contre les fermes et les villages, tantôt s’unissant avec les naturels, et tantôt les traitant avec la plus abominable cruauté. Cette vie d’aventures a eu ses héros, et le nom de Robin Hood n’est pas plus célèbre dans les chroniques de l’Angleterre que celui de Howe dans la Nouvelle-Galles du sud, et celui de Lemon dans la terre de Van-Diemen. « Les vols de