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lui fait violence. Des dieux licencieux ou cruels, infâmes ou terribles, qui font souvenir des voluptés et des fureurs de la nature, exercent sur lui leur tyrannie. Les sauvages emportemens des fêtes antiques, les orgies de la bonne déesse, chez les peuples les plus civilisés, des prostitutions sacrées et des victimes humaines, des rites d’adultère et de sang, cet abaissement et cette infortune de l’homme, tout cela est-il dans l’ordre ? M. Schelling ne le pense pas ; il voit dans les mythologies une chute, mais tout à la fois un relèvement. Elles ne sont point isolées, elles ont un intime rapport, elles forment un vaste cycle. Il ne faut pas voir en elles seulement des expressions variées, en quelque sorte des métaphores différentes d’une même pensée, comme on l’a souvent voulu. Elles sont les phases successives d’une même évolution, les degrés divers d’une même série.

Ces vues générales ne sont pas les seules intéressantes dans le cours de M. Schelling. La manière dont il explique l’origine de la diversité des peuples mérite surtout d’être remarquée. Comment l’unité primitive de la famille humaine a-t-elle été brisée ? La dispersion des hommes sur la terre n’explique pas ce fait. On voit des tribus séparées par de grandes distances et vivant sous des climats divers conserver le souvenir de leur parenté et garder indélébile le type de leur commune origine. Les sociétés humaines auraient donc fort bien pu demeurer unies en une vaste confédération, comme les provinces d’un même empire. La diversité des peuples n’est pas davantage la suite de quelques hostilités. Un peu de sang répandu n’isole pas à toujours l’homme de l’homme. Les hordes arabes sont sans cesse à guerroyer, et ces tempêtes passagères ne laissent pas plus de trace que le simoun sur les sables du désert. La différence des races ne rend pas compte non plus de la diversité des peuples ; elle a allumé des haines terribles, mais elle ne pourrait expliquer que l’antipathie mutuelle des peuples, et un peuple ne se borne pas à nier les autres ; son unité est très positive. On voit d’ailleurs des peuples différens sortis d’une même race, et quelquefois un peuple puissamment organisé issu de plusieurs races. La diversité d’origine n’a même pas toujours été effacée ; elle s’est perpétuée dans les castes : il n’y a pas eu fusion, il y a cependant unité. Aucune de ces causes ne suffit donc. Serait-ce la diversité des langues qui aurait divisé les hommes ? Elle-même a besoin d’être expliquée. Les langues cachent une philosophie ; l’étymologie est plus qu’une dérivation de mots : elle donne une généalogie des idées, elle trahit la secrète pensée des peuples sur les rapports des choses, sur les harmonies du