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drapeau : Catholicisme et progrès. Qu’est-ce donc que le catholicisme, sinon une autorité immuable, un dogme immuable ? Et quel progrès annoncez-vous sous ses auspices, puisqu’il ne peut se renouveler ni changer sans périr ? Ces grands ennemis de l’éclectisme, qui unissent si témérairement des idées et des principes contradictoires, font assez voir qu’ils n’ont pas toujours l’intelligence complète des doctrines dont ils veulent composer leurs propres systèmes.

Examinez, par exemple, la philosophie de M. Pierre Leroux. À coup sûr, s’il existe quelque part un démocrate sincère et radical, c’est bien lui, et lorsqu’après avoir prêché à Lyon la doctrine saint-simonienne, puis rompu ouvertement avec la religion nouvelle, et tenté de fonder l’école humanitaire, il livra enfin au public, après dix années, son grand ouvrage, on pouvait craindre d’y trouver des traces de cette vie aventureuse qui l’avait d’abord poussé des bancs de la Sorbonne, où il applaudissait M. Cousin, dans la chaire des prophètes saint-simoniens ; mais on devait s’attendre à n’y trouver rien de contraire au principe de l’égalité, que les plus immoraux des ennemis de M. Leroux, les éclectiques eux-mêmes, ne songent pas à contester. Et cependant qu’arriva-t-il ? Que l’on suive un instant l’enchaînement de son système. Selon M. Pierre Leroux, tout l’homme est dans ces trois phénomènes, sensation, sentiment, connaissance ; il n’est pas question de la liberté ; ces trois phénomènes sont inséparables des phénomènes corporels, d’où il résulte que l’existence de l’ame séparée du corps est une abstraction, ou un pur rien. S’ensuit-il que tout périt avec nous, et que le système de M. Pierre Leroux ne diffère en rien de la vieille doctrine matérialiste ? Loin de là : chacun de nous est immortel, non comme individu, mais comme espèce, et c’est une base suffisante pour la morale, puisqu’il ne s’agit que de transporter notre amour et nos espérances à cet être général et abstrait qui est la substance commune de tous les individus, et qui s’appelle l’humanité. Cette ame qui habite mon corps et le fait vivre ne doit le quitter un jour que pour en revêtir aussitôt un autre, et selon que j’aurai été digne de colère ou de faveur, je renaîtrai philosophe ou prolétaire. La justice de M. Leroux est satisfaite à ce prix, et pourvu que dans une autre vie j’aie mérité les biens et les maux de la vie présente, il n’importe que je le sache ou que je l’ignore : c’est peine ou récompense à mon insu. C’est le cas de dire avec Bossuet justifiant le péché originel : Ne voyons-nous pas les maladies se transmettre du père coupable aux enfans innocens par un juste jugement de Dieu, et la vengeance des lois,