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CRISE DE LA PHILOSOPHIE ALLEMANDE.

relève : elle ne se conçoit qu’à cette condition. Mais cela nous laisse ignorer si elle est l’œuvre de la raison seule, car la raison n’est pas toute la pensée. L’idée préliminaire de la philosophie ne nous apprend donc rien sur le choix à faire. Que nous conseille le désir instinctif de l’esprit ? Nous incline-t-il vers la méthode logique ? Voulons-nous primitivement concevoir toutes choses comme nécessaires ? Évidemment non. Nous sentons, en contemplant les choses de ce monde, qu’elles pourraient ne pas être, qu’elles pourraient être autrement, qu’elles sont accidentelles. La pensée d’un monde où la liberté a sa place donne d’ailleurs à l’intelligence la joie et l’essor. Rien, au contraire, n’appauvrit l’esprit, ne le désenchante, ne l’engourdit comme le fatalisme. L’humanité témoigne en notre faveur : toutes les révélations religieuses prétendent donner une histoire. Le Dieu de la conscience universelle est un Dieu personnel et libre. Nous avons donc pour préférer la méthode historique le vœu naturel de l’intelligence et le consentement de l’humanité ; nous avons tous les instincts qui protestent en l’homme contre le panthéisme ; nous avons les souveraines certitudes de la morale qui décident toujours, en définitive, du sort des philosophies et qui supposent la liberté de l’homme et la personnalité de Dieu. Ces motifs réunis nous décident. La méthode logique n’avait pour elle qu’une illusoire nécessité. Il faut donc ne pas laisser la raison usurper toute notre pensée. Telle est la conclusion de M. Schelling.

Est-ce à dire que l’on doive bannir la raison de la philosophie et ne plus consulter que l’expérience ? Autant vaudrait dire qu’il n’y a plus de philosophie. Quelle valeur et quelle place garde donc la méthode logique ? Nous ne connaissons rien véritablement avant de connaître Dieu. Toute science, jusque-là, est fragmentaire, provisoire, incertaine. Un objet n’est connu que lorsqu’on a déterminé sa place dans l’ensemble, son rapport avec la cause suprême. On ne le peut, si l’on n’a pas l’idée de Dieu. Il faut d’abord l’obtenir pour faire ensuite à sa lumière l’histoire du monde. Mais l’idée de Dieu ne s’obtient pas immédiatement : elle est de toutes la moins simple, la plus riche, la plus complexe. Comment y arriver ? Dieu ne se révèle que par son œuvre. C’est la création qui nous le fera connaître. Il nous faut donc partir du monde pour arriver à la cause suprême. On ne descend pas nécessairement de Dieu au monde, mais on remonte nécessairement du monde à Dieu, de l’effet à la cause. C’est donc par un chemin nécessaire, par la méthode logique, que nous arrivons à l’idée de Dieu. La méthode logique est celle des prélimi-