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ce sont les dédains emportés que nombre de gens lui prodiguent. Je crois que ces dédains et ces colères tiennent à ceci : l’artiste ne touche qu’aux œuvres éternelles ; or le créateur de ces œuvres, malgré l’effrayante tradition qui existe sur Prométhée, use de beaucoup d’indulgence envers ceux qui entrent en lutte avec lui. Voici bien des siècles que les poètes déclarent qu’il existe un beau idéal dont eux seuls ont le secret sans qu’aucun foudre ait châtié cette prétention impertinente. Le critique n’a pas affaire à des créateurs si patiens, on ne lui passe aucun blasphème. Si par hasard il prétend, lui aussi, avoir l’instinct d’une perfection que ne lui offre nul des ouvrages qu’il interroge, on le punit bien vite de sa superbe. Il a au-dessus de lui tout un olympe irrité dont le tonnerre ne se repose jamais.

Il existe cependant quelques poètes qui ne sont pas vengeurs, ou du moins dont la vengeance est tempérée par des sentimens de mansuétude ; ceux-là méritent d’être cités. Parlons donc de Mme Desbordes-Valmore, qui, sous le titre de Bouquets et Prières, vient de faire paraître un nouveau recueil de poésies. Je voudrais pouvoir transcrire tout entière ici une bonne et charmante pièce de vers dont voici la première strophe :

Jeune homme irrité, sur un banc d’école,
Dont le cœur encor n’a chaud qu’au soleil,
Vous refusez donc l’encre et la parole
À celles qui font le foyer vermeil.
Savant, mais aigri par vos lassitudes,
Un peu furieux de nos chants d’oiseaux,
Vous nous couronnez de railleurs roseaux,
Vous serez plus jeune après vos études ;
Quand vous sourirez,
Vous nous comprendrez.

Tout l’esprit mélancolique et sans fiel du livre de Mme Desbordes-Valmore est dans cette espèce d’ode familière. Où prenez-vous donc, ajoute-t-elle un peu plus bas, en s’adressant à celui envers lequel elle use de si douces représailles :

Où prenez-vous donc de dures armes ?
Qu’ils étaient méchans, vos maîtres latins !

Il y a trois choses divines presqu’égales entre elles qui entr’ouvrent au fond du sourire les mêmes profondeurs lumineuses : c’est la beauté, le génie, et la bonté. La bonté rayonne dans le sourire que Mme Desbordes-Valmore a su mettre dans ces vers lestes et gracieux qui vont d’un seul bond se loger dans le cœur. Une tristesse sans bruyans éclats, une résignation qui a souvent de la grace, une modestie qui porte en elle quelque chose d’attendrissant, voilà les qualités qu’offrent encore plusieurs autres pièces des Bouquets et