Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/341

Cette page a été validée par deux contributeurs.
335
LES ORIGINES DE LA PRESSE.

gleterre ne possédait guère que le germe sauvage du sentiment littéraire, la curiosité, et Caxton, qui était marchand avant tout, la satisfaisait en publiant « la véritable Histoire du vaillant chevalier Jason, les Merveilles de nécromancie du sorcier Virgile, et la noble Histoire de monseigneur Hercule. » Il avait bien quelques scrupules sur les faits consignés dans ces récits : « mais, dit-il dans une de ses préfaces, un gentleman m’a assuré que c’était grande folie et aveuglement de ne pas y croire. » Rien n’est plus plaisant que la simplicité de ce premier imprimeur anglais. « N’ayant pas d’ouvrage à composer, dit-il, et assis dans mon cabinet où étaient épars divers livres et pamphlets, je mis par hasard la main sur un petit livre récemment traduit du latin par quelque noble clerc de France, lequel est nommé Eneydos » (pour Æneis). C’est tout bonnement l’Énéide de Virgile, devenue un roman de chevalerie, mise en français barbare et retraduite en anglais plus barbare. Ces publications ignorantes suffisaient à des lecteurs ignorans ; Caxton fit sa fortune ; ses légendes, ses traités de la chasse et de la fauconnerie assouvirent les appétits peu difficiles de l’époque et du pays. Avant d’apprendre à lire, on épèle ; ne nous moquons pas trop de cette gourmandise sans choix des intelligences rudes et peu préparées. Tout en imprimant de fort mauvais livres, Caxton le vénérable fut le bienfaiteur de son pays. Au commencement du XVIe siècle, tous les esprits britanniques s’ouvraient à la lumière, et bientôt un déluge de clartés et de science venues d’Italie inondèrent cette civilisation à peine ébauchée. Oxford eut son imprimeur en 1478, Saint-Albans en 1480, Cambridge en 1521 ; les ouvriers allemands amenés par Caxton pratiquèrent leur art avec plus de choix et de tact, et l’Angleterre eut sa part de la dot universelle.

Cependant la Suisse était fière de ses Froben et de ses Oporin, les Pays-Bas de leur Martens et de leurs Plantins. L’Espagne, toute livrée à une autre œuvre de civilisation, à la guerre contre les Maures et à la conquête de l’Amérique, prenait peu de part à la conquête intellectuelle. En 1474, cependant, il y avait un imprimeur à Valence ; en 1475, il s’en établissait un à Barcelone et un à Sarragosse. Séville suivait cet exemple en 1476, et Salamanque en 1481. Mais le génie chevaleresque et d’aventures, le génie du moyen-âge, l’esprit du symbole, dominait trop absolument cette grande nation pour qu’elle s’occupât avec amour d’une invention roturière, qui dérobe sous la vulgaire servitude des soins matériels la plus haute liberté de l’esprit.